En 2016, à l'époque de Good Night in the Ghetto, mixtape d'une indéniable fraicheur, Kamaiyah était un espoir du rap. Déjà, elle collaborait avec YG et Drake, et Travis Scott, Quavo, Tyga ou Schoolboy Q ne tarderaient pas à suivre. Elle avait aussi rejoint la major Interscope, et en corolaire, elle avait figuré dans la cuvée 2017 des Freshmen. La rappeuse d'Oakland avait donc une autoroute devant elle. Et pourtant, elle ne l'a pas empruntée. A la place, elle a subi quelques déboires : une dépression après la mort de son frère, une mixtape sortie trop vite qu'elle renie aujourd'hui, une dispute avec Kehlani... Elle a aussi été inquiétée pour s'être servie un peu libéralement d'une arme à feu. Et après des démêlés avec son label, elle l'a quitté pour poursuivre sa carrière en indépendant, sur une structure rien qu'à elle appelée Grnd.Wrk.
Cette chute est toute relative. Après tout, Kamaiyah a un accord avec le distributeur Empire, elle est toujours dans les petits papiers de la presse spécialisée et des poids lourds tels que Too $hort et Trina viennent l'épauler sur cette nouvelle sortie. Mais enfin, elle est en colère. En tout cas, davantage que sur sa première sortie, où il était question surtout de goûter aux plaisirs simples que s'autorisent les habitants du ghetto. Dès l'introduction, elle se présente à nous remontée comme une pendule. Juste après, sur "Pressure", il n'est désormais plus question que de compter sur elle-même : "je m'aime moi, yeah, je me fais confiance, je n'ai besoin de personne d'autre, je n'ai besoin de l'aide de personne". Elle est revêche sur "Whatever Whenever". Même les relations amoureuses se révèlent épineuses sur "Mood Swings". Sur "Still I Am", elle déclare haut et fort s'être faite toute seule. Et elle affirme encore sa volonté de se faire par elle-même, contre toute adversité, sur "10 Toes High". Il y a encore de la soif de vie dans ces cris d'indépendance, il y a toujours de purs moments hédonistes comme le morceau club "Get Ratchet", ou comme ce "Digits" où elle cherche à récupérer le numéro d'un partenaire éventuel. Mais dans son ensemble, Got It Made sonne comme une vengeance.
Kamaiyah prétend vouloir être fidèle à être même. Elle l'est, en tout cas, vis-à-vis de ses origines. C'est en effet un son synthétique et sautillant qui caractérise cette sortie très courte, celui même qui caractérise la Baie de San Francisco depuis les tubes de Too $hort jusqu'au mouvement hyphy. Il y a même des scratches, dont un solo sur "Get Ratchet", pour ajouter à la nostalgie ambiante. Et c'est comme souvent plein d'humour, comme quand avec Trina, sur "Set It Up", elle se venge d'un amant volage en vidant sa carte bancaire. Et puisqu'on parle de Too $hort, le vétéran de cette scène est bel et bien là. Il participe au titre "1-800-IM-Horny", dont le propos, comme il se doit, se porte en dessous de la ceinture. Tout cela donne le droit à Kamaiyah de se prétendre la "putain de reine de la merde West Coast", à la fin de "Pressure". Car c'est bien comme ça, tout seul, en marge, en comptant sur une scène impérissable et le renfort d'une poignée d'amis sûrs, qu'on s'est toujours illustré dans le rap de la Bay Area.