Comme le veut une règle tacite en matière de hip-hop féminin, celle selon laquelle deux rappeuses ne peuvent coexister, on a parfois opposé La Chat à Gangsta Boo. Elles n'ont pourtant jamais vraiment marché sur les mêmes plates-bandes. Alors que la seconde a fait partie de Three 6 Mafia, la première n'aura été qu'une affiliée (certes très proche de la bande). Alors que Lola Mitchell a parfois joué de la carte sexy de mise à l'époque où elle a émergé, à la fin des années 90, Chastity Daniels, elle, n'a jamais été qu'une furie et une sauvageonne, encore plus unilatéralement hardcore que l'autre. Par ailleurs, elles n'ont jamais été en conflit.

GANGSTA BOO & LA CHAT - Witch

Au contraire, les deux dames ont longtemps envisagé de sortir un projet commun. Celui vit finalement le jour en 2014, et il prit le nom qui leur convenait le mieux : celui de la sorcière, celui de l'enchanteresse manipulatrice et maléfique, tout à fait à sa place dans l'univers infernal mis en scène vingt ans plus tôt par la Three 6 Mafia. Cette comparaison, elles l'ont travaillée d'entrée sur le titre "Witch Brew", dans l'ambiance sépulcrale de circonstance, avec l'assistance de la chanteuse canadienne Fefe Dobson. Ensuite, les mentons relevés, elles nous ont expliqué comment tirer profit des hommes et elles ont exalté le sexe sans sentiment ("I don't want relationships, right now I am only fucking you" disaient-elles sur "Sum 2 Do"). Elles se sont montrées fascinées par l'argent et défoncées à la drogue. Et elles s'en sont prises à leurs paires, ces femmes qui n'ont ni leur attitude, ni leur fierté, ni leur promptitude à la violence.

Produit par Drumma Boy et par une poignée d'autres, Witch est de ces albums mineurs auxquels on prend plaisir à revenir. Car l'alchimie fonctionne, entre la voix claire de l'une, et celle, abimée, de l'autre. C'est patent sur des morceaux relevés et pleins d'entrain comme "Till the Day" et le menaçant "Sweet Robbery", et même quand Gangsta et La Chat invitent d'autres intervenants : sur le déferlement de drogue, de sexe et de sauvagerie de "On That", avec Lil Wyte, ou, dans une moindre mesure, sur ce "B!tchy" qui annonça l'album (bien qu'il n'y figura pas). Ici, avec l'ajout de Mia X, étaient réunies les trois grandes dames du rap du Sud.

Et parmi les morceaux mémorables associés au projet Witch, figure aussi le tout dernier, celui où les deux femmes célèbrent leur camaraderie. "Thelma & Louise", s'intitule-t-il, et c'est bien sûr le nom du film. Mais cela aurait dû être aussi, il y a fort longtemps, celui du projet commun de Lil' Kim et de Foxy Brown, avant que ces deux rappeuses ne se crêpent le chignon. Au bout du compte, ce que les deux New-yorkaises ne sont pas parvenu à entreprendre, les deux grandes dames de Memphis l'auront mené à bien, sur tous les plans ou presque.

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