La police anglaise n'aime pas l’abrupte UK drill. Elle est résolue à la censurer. Son obstination, cependant, a eu l'effet inverse. Parce qu'elle a accentué son odeur sulfureuse, parce qu'elle a confirmé son authenticité, parce qu’elle l’a exposée à de nouveaux publics, elle a contribué à populariser cette scène. Rhys Herbert, alias Digga D, en est un cas d'école.

DIGGA D - Double Tap Diaries

Apparues à partir de 2017, et bientôt visionnées des millions de fois, ses vidéos ont dû être supprimées en raison de leur contenu violent. Par ailleurs, le rappeur de Ladbroke Grove a été contraint, avec son groupe 1011 (rebaptisé depuis CGM), de soumettre toute sa production musicale à l'examen des autorités. Cela ne l'a toutefois pas empêché, l’an passé, de sortir le single à succès "No Diet", et d’enchaîner avec l'un des projets les plus appréciés de 2019, Double Tap Diaries, alors qu'il croupissait une nouvelle fois en prison.

Produit par les architectes sonores de la UK drill M1 On The Beat et Ghosty, ainsi que par l'éclectique NYGE, collaborateur d’AJ Tracey (un autre homme issu de Ladbroke Grove, comme l'indique son single emblématique), Double Tap Diaries est un produit emblématique de ce sous-genre.

Sur une musique sèche et minimaliste parcourue de basses et de rythmes de type trap, Digga D délivre un rap rapide, où l'argot des gangs londoniens (skengs, sweets, pagans, po-po...) se mêle, dans un tourbillon de jeux de mots, à des allusions à Pacman, à la FIFA ou à Poutine, comme sur "PADP". Le titre le plus emblématique de cette approche, c'est bien entendu "No Diet", où derrière la métaphore du soda, le rappeur parle de cocaïne, beaucoup, mais aussi de meurtre.

Double Tap Diaries est une mixtape concise, où Digga D s'est limité au strict minimum. Il n'y convie que trois autres personnages : son collègue de CGM Sav’O sur "Imagine", KO sur "I Heard" , et un Liverpuldien, Aystar, sur "They Wanna Know", un titre faussement calme où les deux rappeurs racontent la violence de leurs quartiers respectifs.

La violence, à part sur ce "What’s Love?" où le Londonien parle de son rapport aux femmes, c'est ici le seul thème, à peu de choses près. Digga D ne parle que d'armes à feu, d'assassinats et de rivalité entre gangs, qu'il se mette à chanter sur le quasi-dancehall "Never Fear", ou qu'il s'exprime sur les morceaux décharnés de la fin, ces bijoux de minimalisme sombre que sont "Shotty Shane" et "Double Tap Days".

Quelques mois après la sortie de Double Tap Diaries, alors qu'il était toujours en prison, Digga D a été malgré lui le déclencheur d'une étrange polémique internationale. Des partisans ont hacké le compte twitter de la police municipale, pour réclamer sa libération. Cela est remonté jusqu'au président américain Donald Trump, qui s'est fendu d'un tweet assassin pour critiquer l'incompétence supposée du maire de Londres, Sadiq Khan, pour cette histoire de piratage.

Voilà donc le statut de la UK drill aujourd'hui. Elle est au centre du débat national anglais, et elle fait parfois des remous Outre-Atlantique. Souhaitons-lui que, désormais, cela arrive aussi, de plus en plus, pour des motifs musicaux.

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