Aucun album ne mérite mieux qu'Underground Kingz le titre de “disque de la consécration”. Bien avant sa sortie, certes, Pimp C et Bun B ont délivré ensemble plusieurs projets essentiels. Ils n'ont même fait que cela. Leurs trois premiers albums, Too Hard to Swallow, Super Tight et Ridin' Dirty, sont tous des classiques du rap. Mais ils sont apparus trop tôt. Malgré un succès critique et commercial appréciable, le duo est demeuré associé à sa scène régionale. C'est plus tard, avec l'appui de Jay-Z et la sortie en commun de “Big Pimpin”, et dans une moindre mesure avec leur contribution au “Sippin' on Some Syrup” de Three 6 Mafia, que les Texans se sont imposés auprès d'un plus grand nombre, et qu'ils ont été reconnus comme figures nationales de premier plan. Cependant, ils n'ont pas profité aussitôt de cette notoriété. Leur quatrième album, Dirty Money, a souffert d'un déficit de promotion. Et quelques mois plus tard, à la mi-2002, la peine de prison entamée par Pimp C a placé la carrière du duo entre parenthèses.

UGK - Underground Kingz

Mais en 2007, avec cet Underground Kingz sorti un peu plus d'un an après sa libération, c'est le bon moment. Pendant cette incarcération, la cote du duo n'a fait que grimper grâce aux collaborations de Bun B avec tous les rappeurs possibles et imaginables, grâce aussi à ces "Free Pimp C!" repris à l'envi par ses collègues. Les deux hommes, comme leur label, semblent donc bien décidés à marquer le coup. Ils n'enregistrent rien de moins qu'un double-album ambitieux, rempli d'invités de prestige. Cette sortie, qui porte le nom même du duo, est destinée à devenir la grande œuvre définitive d'UGK. Et de fait, attendue au tournant, elle est dès sa sortie numéro 1 aux Etats-Unis et la critique lui réserve un accueil globalement élogieux. Elle prendra aussi une tournure testamentaire quand, en fin d'année, Pimp C rendra l'âme.

Les deux hommes veulent marquer le coup. Ils cherchent à consacrer leur triomphe. C'est visible dès ce "Swishas & Dosha" où ils se posent en vétérans, Bun B s'en prenant au passage à la génération Facebook. Ils vantent leur résilience sur "Trill Niggas don't Die". Ils reviennent en cadors et donnent des leçons aux délinquants d'opérette sur le tourbillonnant "Take Tha Hood Back". Ou au contraire, sur le solo "Shattered Dreams", Pimp C se pose en sage et invite les autres à surmonter leurs difficultés. C'est qu'ici, le duo est au sommet de son art et de son Country Rap Tune. Il maîtrise parfaitement sa formule : des samples empruntés à de grands noms de la Black Music comme Willie Hutch, Gladys Knight, Al Green ou Allen Toussaint ; des mélodies synthétiques, mais dotées d'un feeling "live" entretenu par les sons chaleureux de vrais instruments ; des refrains et des guitares funky ; une musique poisseuse et marécageuse, moins proprement calibrée que celle du Nord. Enfin, les deux rappeurs usent comme jamais de la complémentarité de leurs voix, celle, grave et pleine d'autorité, de Bun B, et celle, nasale, de Pimp C. Et le plus fort dans tout cela, c'est que ce projet dense et touffu tient plutôt bien la route sur les deux longues heures de sa durée, fait rare pour un double-album de rap.

Pimp C et Bun B célèbrent en parallèle leurs exploits criminels et rapologiques. Sur le morceau homonyme de l'album, "Underground Kingz", il n'est même plus possible de dissocier les deux activités. Même si Dieu et la religion ne sont jamais bien loin ("Heaven", "How Long Can It Last", "Living This Life"), Sud oblige, les deux rappeurs nous parlent avant tout de leur vie de mauvais garçons. Il est question de la rue sur "Gravy", de leur dur labeur de délinquants sur "Grind Hard", de leur classe de pimps sur "Tell Me How Ya Feel", de leurs compétences de dealers sur "The Game Belongs to Me", de la drogue sous toutes ses coutures sur "Cocaine" et de l'enfermement dans la criminalité sur le plus beau morceau du double-album, ce "Living This Life" où Pimp C partage ces mots prémonitoires (et rétrospectivement glaçant) : "rather be dead than doin' life in jail cell". "Plutôt mourir que passer ma vie dans la cellule d'une prison". Plus prosaïquement, les compères font part également de leur plaisir de conduire sur "Candy", sur "Still Ridin' Dirty" et sur ce "Chrome Plated Woman" où ils décrivent leur voiture sous les traits d'une femme. Les filles, Bun B et Pimp C en parlent aussi, sous un angle lubrique sur "Like That". Et comme ils ne sont pas à une contradiction près, ils apposent l'un après l'autre, sans sourciller, le misogyne "Two Type of Bitches" et le plus respectueux "Real Women".

Underground Kingz est un couronnement pour le duo. Et il l'est aussi pour tout un pan du rap devenu dominant au cours de la décennie : celui du Sud, dont UGK sont en quelque sorte des parrains. Un single souligne cela, un fier et scintillant "Int'l Players Anthem", leur plus grand succès. Non seulement met-il en scène un personnage apprécié en ces lieux : le pimp, le playa. Mais en plus, dans ses deux versions (une troisième est un remix sur le mode chopped and screwed), interviennent deux autres grands groupes du Sud : Three 6 Mafia et Outkast. Par ailleurs MJG, autre parrain du rap du Sud, est samplé sur le (médiocre) bonus "Hit the Block". Quant au grand groupe fondateur de ces scènes, il est lui aussi embarqué dans l'entreprise, Scarface et Willie D des Geto Boys étant conviés, respectivement, sur "Still Ridin' Dirty" et, titre de circonstance, "Quit Hatin' the South". Et d'autres personnalités issues des mêmes cieux se pressent ici, comme Slim Thug, Z-Ro, T.I., Rick Ross, Jazze Pha ou Lil Jon à la production.

Mais si l'album consacre la stature nationale de Pimp C et de Bun B, c'est aussi qu'il dépasse leur région d'origine. Sur "Next Up", la filière new-yorkaise est représentée par Big Daddy Kane, Kool G Rap et Marley Marl, sur la musique de leur classique "The Symphony". Quant à "Life Is 2009", il est un remake du "Life Is..." de Too $hort, avec la complicité du Californien. Le rap "conscient" de backpacker, soit plus ou moins l'inverse de celui du duo, trouve lui aussi sa place avec une intervention de Talib Kweli sur "Real Women". Et même le grime anglais est là, avec la participation sur "Two Type of Bitches" de sa figure la plus emblématique, Dizzee Rascal.

C'est donc un disque riche, ambitieux et varié que propose UGK, mais qui, malgré sa densité et sa variété, conserve la patte et le son du duo. Avec Underground Kingz, Pimp C et Bun B sont bel et bien devenus les rois du rap. Mais désormais, l'underground est laissé loin derrière.

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