A chaque scène rap d'importance, sa rappeuse. Or, s'il y a une scène rap qui nous a captivés dernièrement, il s'agit bien de Detroit. Il était donc logique de se pencher sur son pendant féminin. Kash Doll est sans doute, aujourd'hui, le premier nom qui vient à l'esprit quand on pense à une rappeuse locale. Mais Molly Brazy, l'une de ses admiratrices, vient également de là. Et si elle est désormais établie à Atlanta, et que son rap n'est plus la réplique totale et exacte de leur son, elle est la plus proche des gens qui nous préoccupent, comme le prouve la présence sur Molly World de rappeurs tels que GT et Masoe, ainsi que le renfort décisif de Helluva, l'architecte sonore des Doughboyz Cashout.

MOLLY BRAZY - Molly World

Parrainé par le magazine 4Sho, principal promoteur du rap de Detroit, ce premier projet est sorti au début de 2017, à la suite du single "More Facts" qui l'a fait connaître à la fin de l'année précédente. Il est celui, aussi, où la rappeuse est la plus fidèle au son de sa ville. Molly Brazy, qu'on pourrait décrire comme une rencontre entre ces disciples de Nicki Minaj folles de looks clinquants que sont les "dolls" et le rap de rue dangereux caractéristique de sa ville, privilégie alors ce second registre. Dès une intro signée par un autre producteur notoire du coin, RJ Lamont, on retrouve la musique soutenue et tendue propre à Detroit, accompagnée de raps rapides, de quelques refrains chantés et de propos agressifs.

La formule prisée ici, c'est un rap de rue imprégné de violence, déclamé par quelqu'un qui l'a connue de près. Molly Brazy, en effet, a perdu son père, tué par balles, à l'âge de 9 ans. Fascinée par les armes, Molly Brazo (devenue Molly la Dingue, en changeant son vrai nom pour la version Bloods du terme "crazy") n'a pas hésité à en exhiber à plusieurs reprises. On le voit avec la pochette de Molly World, avec des titres comme "Don't Fall Asleep", mais aussi dans plusieurs vidéos, musicales ou non, dont une, diffusée peu après cette première mixtape, où elle menace un bébé d'un revolver (ce qui, assez logiquement, a entraîné l'attention de la police).

La rappeuse nous parle donc de flingues et de monnaie sur ce cas d'école qu'est "Run Up A Check", et elle tient la dragée haute à GT et à Masoe. Elle décrit ses saines activités de dealeuse sur "On Me" et se présente en chef de meute sur "Focused". Elle clame que son idéal masculin est un gangster sur "One". Elle prête allégeance aux grands noms de la trap music sur "Make Up". Et surtout, elle crache son venin.

Successivement ou concomitamment, Molly Brazy méprise garçons et filles, elle les défie, elle les vomit, sur des titres tels que "These Bitches", "Gimmie", "2 Faced", "Rambo", "Hate Niggas", "Fight Me" et l'azimuté "Goofy". Elle hausse la voix pour leur adresser des menaces de mort, sur "Bout Shit".

Et le tout, délivré sur des titres idéalement courts (peu vont au-delà des deux minutes) est non seulement identique ou symétrique aux meilleurs projets des rappeurs les plus importants du Detroit contemporain : bien souvent, il les vaut. Il est donc bien dommage, rétrospectivement, qu'après son duo remarqué avec Cuban Doll, "Let It Blow", puis son premier album sorti quelques mois plus tard, Big Brazy, que la jeune Molly B. ait cherché à s'affranchir de cette formule typiquement locale. Elle lui va tellement bien.

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