Parlons manucure. Les hommes parmi vous l'ignorent peut-être, mais il existe deux types de faux-ongles : ceux en gel et ceux en acrylique. Les premiers ont pour avantages d'être plus brillants et de sembler plus naturels, mais les seconds sont plus solides, et ils sont moins chers. Ces deux types d'ongles sont aussi, quelque part, un marqueur social. Alors que la première catégorie est l'apanage des riches, l'autre, qui a pour caractéristique de dégager une odeur chimique forte, a la faveur des moins favorisés, en particulier les Afro-Américains. D'après Leikeli47, ils sentent le quartier. Tel est d'ailleurs le thème du morceau qu'elle a intitulé d'après cette matière : sur une musique minimaliste, l'odeur de l'acrylique y est un prétexte pour évoquer un voisinage fait de débrouille, de contrôles policiers et de familles monoparentales.

LEIKELI47 - Acrylic

C'est donc bien de cela, de ses origines, de son expérience, de son vécu de femme noire, dont veut nous entretenir cette rappeuse mise en avant par Jay-Z il y a quelques années, via le single "Fuck the Summer Up". Sorti en 2018, l'album Acrylic a beau être titré d'après ces apparats, citer des marques sur de la musique de défilé de mode ("Post That") et être le second volet d'une trilogie sur le thème de la beauté et des soins du corps (après Wash & Set en 2017, et avant un Shape Up prévu cette année), son propos n'est pas superficiel. Certes, comme beaucoup de ses consœurs, Leikeli47 sait user de looks aguicheurs et exposer son corps, mais elle en cache aussi une partie essentielle. Sa spécificité, en effet, est de ne jamais se montrer autrement que le visage cagoulé. Elle cherche de cette façon à se libérer de sa timidité, mais aussi, à l'instar de MF Doom, à nous focaliser sur ce qui importe : ses propos, sa musique.

Car il y a beaucoup à entendre sur cet Acrylic fait de morceaux courts et variés. On court, côté paroles, des saillies féministes de "No Reload" et de l'hymne aux universités afro-américaines de "Roll Call", à une revue de la vie de la rue sur "CIAA" et à la célébration des plaisirs artificiels de "Girl Blunt", un titre entendu, fort à propos, dans la série Insecure. On y mène aussi une visite guidée de Brooklyn, à travers "Iron Mike" et son évocation du quartier de Brownsville, et la charmante romance de "Hoyt and Schermerhorn", qui nous emmène dans une station de métro emblématique de l'arrondissement new-yorkais. On y parle sérieusement, aussi, comme quand Leikeli47 rappelle, sur "Talking to Myself", qu'il n'est pas nécessaire qu'on lui tire dessus pour remplir sa tête de plomb, les eaux toxiques de son quartier délabré en étant déjà plein.

Il y a beaucoup à entendre, aussi, sur un plan exclusivement musical. Les sons peuvent se montrer énergiques et bouillants avec "Roll Call", ou dansants, avec "Post That" et ce "Tic Boom" qui commence avec des sonorités caribéennes avant de virer à la musique de club. L'album recourt souvent à des rythmes et accents exotiques, comme sur "Iron Mike" et "Bad Gyal Flex", qui ne sont pas sans rappeler la musique de M.I.A. Leikeli47 se fend aussi d'une bluette R&B avec "Top Down", d'une ballade pop avec "Hoyt and Schermerhorn", de néo-soul avec "CIAA". Elle chante avec émotion sur le beau finale de "In My Eyes". Et même Ray Charles se fait une place ici, avec "Let’s Go Get Stoned". Acrylic est divers, composite, mais la même énergie et la même inventivité sont partout à l'œuvre sur cet album que Leikeli47 a conçu comme la célébration de sa culture, celle de son univers personnel féminin et afro-américain.

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