Lorsque qu'en 2004, avec l'album Apprentice to the Mystery, on célèbre Lindsay Knight, alias Eekwol, c'est en tant que chanteuse amérindienne qu'elle est présentée. Il est vrai que cette membre de la Première Nation de Muskoday est une universitaire versée dans l'étude des nations "natives", qu'elle s'est posée en défenseuse de la culture crie, et qu'un morceau de son premier album rend hommage à ses origines en invitant un chanteur pow-wow. Mais ramener la nièce du musicien folk Chester Knight à cette seule qualité est réducteur. La plupart des titres de cet album abordent d'autres sujets, tout comme ceux de son successeur, The List.

EEKWOL & MILS - The List

Sur celui-ci, Eekwol invite encore les siens à l'action sur "Let's Move" et elle fait brièvement référence à ses origines sur "What's Good". Mais elle traite aussi de thèmes plus larges. Elle philosophe, beaucoup, comme quand elle ramène les gens à leur responsabilité individuelle, sur "The Tree", ou quand elle en appelle au ré-enchantement du monde, sur "Magic". Son registre est pour l'essentiel d'inspiration "rap conscient", comme l'indique l'identité du seul collaborateur de poids présent ici, Stic.man des très engagés Dead Prez (remplacé dans la version clippée par Luckyiam). Mais Eekwol traite aussi de sujets personnels, comme son addiction à la cigarette et ses efforts pour arrêter le tabac, sur "Smokitine", ou son rapport au rap et à la création, sur cet excellent "Catch 22" dont on reparlera dans quelques instants.

Par ailleurs, lorsque qu'on a honoré Apprentice to the Mystery, c'est d'abord Eekwol qui a été mise en avant. Mais la rappeuse a un comparse, son propre frère Justin, et il n'est pas étranger à la qualité de sa musique. Avant même que la rappeuse ne rejoigne Innersoulflow, l'homme plus connu sous le nom de Mils a été l'un des maîtres d'œuvre de ce groupe aux contours familiaux. Son talent de producteur est assez reconnu pour que le Canadien ait été invité à offrir des sons aux héros underground américains des Living Legends, ainsi qu'à Pigeon John et à Paul Barman. Et naturellement, il a été le grand architecte sonore des albums de sa sœur.

L'un des atouts de cet homme qui, par ailleurs, sait jouer de "vrais" instruments, est qu'il accompagne ses compositions de sonorités organiques. Quelques moments sur The List sont très synthétiques, comme "Tree". Mais ailleurs, sur "Smokitine", des cuivres et un piano rompent la monotonie de la boucle. Et on l'entend insérer une guitare sur le single "The Gauntlet" (en plus de ses propres raps), et le conclure par un joli solo. C'est encore le même instrument qui anime la perle de l'album, ce chaloupé "Catch 22" qu'on a découvert il y a déjà longtemps, avant même la sortie de l'album, sur Hue And Laugh And Cry, une compilation de rap indé délicat sortie sur un label japonais. Au vue de ces arguments décisifs, il est donc normal que, cette fois, le nom de Mils apparaisse en toutes lettres sur l'album de sa sœur.

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