Au cours de son histoire, le rap français n'aura donc compté en tout et pour tout qu'une seule véritable star féminine, et celle-ci fut Diam's. Quelques années près un premier album encore discret, Premier Mandat, son second opus Brut de Femme lui ouvrit les portes du succès. Parrainée d'abord par La Mafia Trece, puis, de façon plus décisive, par un Jamel Debbouze alors au faîte de sa popularité, elle eut un premier disque d'or, obtint une Victoire de la Musique, et son exposition publique fut quasiment inédite pour un rappeur français, tous sexes confondus.

DIAM'S - Brut de Femme

Si Diamant eut un tel écho, c'est naturellement qu'elle dépassait le seul champ du rap français. Pourtant, c'est bel et bien de là qu'elle provenait. Comme elle l'avait montré sur Premier Mandat, elle était d'abord une kickeuse, une vraie rappeuse technique dotée d'une indéniable facilité verbale, ce qui lui valait crédibilité et respect auprès de ses pairs. Des titres témoignaient encore de cela sur Brut de Femme, comme les ego-trips de "Madame Qui ?" et "Suzie 2003". Et Diam's témoignait de ses racines essentiellement hip-hop français, en rendant hommage sur "Mon Répertoire" à tout ce que la scène locale avait su compter de rappeurs.

Cependant, elle avait étoffé son registre en opérant un tournant très variété. Cette direction avait déjà été empruntée quand, en 2000, Diam's avait repris le "Saïd et Mohamed" de Francis Cabrel. Mais c'était encore plus franc sur cet album. Le grand tube qui l'accompagnait, "DJ", était un morceau festif et léger largement inspiré du standard latino "Quien Será" de Pablo Beltrán. Et l'on y entendait des refrains féminins suaves ("Incassables", "Evasion", "Amoré", "Daddy", "Parce Que"), ainsi que des mélodies à la guitare ("Cruelle à Vie"), au piano ("Vénus") ou au violon ("Ma Souffrance"). Diam's chantait même, à la fin de ce dernier titre.

Dans la lignée de la chanson française, encore, elle pouvait parler de romances sur "Amoré", de déceptions amoureuses sur "Vénus" et des rêves d'une vie meilleure sur "Evasion". Son registre n'était pas celui, popularisé par le rap américain, de la femme forte qui refuse d'être prisonnière de ses sentiments. Il était celui, bien plus traditionnel, de l'amante en souffrance ; celui, franchement réactionnaire, qui vilipende les "salopes" et les "traînées qui ont perdu leur virginité sans aimer" ("Cruelle à Vie"). Diamant traitait aussi de sujets graves sur "Incassables" et "Cruelle à Vie", des chroniques sur la vie difficile des femmes dans les quartiers.

De tels morceaux n'étaient pas le fruit du hasard. A 23 ans, Mélanie Georgiades s'inspirait des drames de sa jeune existence. Née à Nicosie d'un père chypriote, elle et sa mère avaient dû retourner seule en France après qu'ils les aient abandonnés. Et l'adolescente avait eu une jeunesse perturbée, marquée par une tentative de suicide et par les coups d'un compagnon violent, reçus à l'âge de 17 ans. Elle rendait compte de ce passé sur l'autobiographique "1980" et les introspectifs "Où Je Vais" et "Parce Que", sur ce "Daddy" consacré au traumatisme qu'a causé l'absence de son père, et sur l'intense "Ma Souffrance", à propos de son expérience de femme battue, des morceaux où Diam's rappait à fleur de peau et où elle débordait de pathos.

Avec ces textes, Mélanie devenait donc plus grande que le rap : elle était un emblème, un symbole, un porte-voix pour les jeunes filles des cités prises en tenaille entre le machisme des hommes et le mépris du reste de la France. La machine allait s'emballer, et elle allait occuper une place trop grande pour elle, qui allait la mener après Dans Ma Bulle, autre album à succès encore plus grand public (mais plus caricatural et moins réussi), vers une période de dépression et de détresse qui aboutirait à l'arrêt en pleine gloire de sa carrière, puis à un refuge dans la religion et dans la vie de famille, et in fine à un départ hors de France.

Acheter cet album