Depuis ses débuts, il y a maintenant une décennie, Elmo O'Connor aurait sorti pas moins d'une soixantaine de projets, sous divers pseudonymes. Évoluant en marge de l'industrie de la musique (dont il se méfie comme d'une peste), il a compensé son absence de soutien par une production pléthorique, laquelle lui a permis de se construire un public fidèle et de vivre confortablement de son art. La contrepartie, c'est qu'il est parfois difficile de s'orienter dans sa discographie fleuve. Le projet qui l'a défini, cependant, est facile à repérer. Sorti au moment où celui qui s'appelait alors Th@ Kid allait étrenner, à 18 ans, le nom sous lequel il se ferait connaître, son titre disait de façon laconique ce que Bones était vraiment : un rappeur blanc.

BONES - WhiteRapper

Certes, cette mixtape de 50 titres (c'est plus digeste que ça en a l'air, le tout ne dépassant pas l'heure et demie), est encore très rap. On n'y trouve pas encore les flirts de Bones avec la guitare, les chants et l'indie rock. Il est encore dans la lignée de ses comparses du Raider Klan, le collectif en marge duquel il s'est fait connaître. Comme avec ces derniers, on retrouve chez lui une musique influencée par les moments les plus gothiques et les plus mortuaires du rap pratiqué dans les années 90 à Memphis. Ainsi entend-on un sample de DJ Paul dès le premier titre de WhiteRapper. Ainsi l'introduction de "WoodgrainGrippin'" est-elle typique du son de cette scène. Ainsi le "Chickenhead" de Project Pat est-il évoqué sur "GoldChainRenegade". Mais tout cela est passé à la moulinette d'un son artisanal et lo-fi caractéristique de l'ère Internet.

Bones nous livre des égo-trips insolents avec "Cleopatra", "MixtapeLegend", "$parkin'" et "PalletTown". Il nous parle d'arme à feu sur "GoldMac10", de sexe avec un "UpAllNight" sous Auto-Tune, et de drogue sur "Ca$hed", "Vein$", "Ber$erk", "Dope", "GatewayDrug$" et bien d'autres titres encore. Il s'imagine sous les traits d'un pimp sur "Bucket$eat". Il étale ses biens avec ostentation sur "BigBobTheBeeperKing", avec les sirènes g-funk de circonstance. C'est aussi la Californie de l'époque qui est revisitée sur "BluntWrapKiller". Et le jeune rappeur rend hommage à DJ Screw sur les deux versions du très bon "RobertDavi$", sample de Pimp C à l'appui, et Grandmilly en renfort. C'est tout le gangsta rap des années 90 qui défile, comme quand, sur le suave et mélodique "Cadillac", Bones s'imagine comme à l'époque, au volant d'une telle voiture. Mais cet univers se retrouve transformé par la fascination d'un gamin blanc.

Le rappeur ne cesse de faire référence à sa couleur de peau. Il est conscient du doute qu'elle fait peser sur son authenticité, quand il déploie sa violence et ses menaces sur "WhiteKid$". C'est cette identité qui le travaille de manière sous-jacente, quand sur "Gho$t" il se compare à un spectre, quand il se décrit comme un mort-vivant sur "WhiteZombi". Bones fait preuve d'une haine de soi white trash, comme sur le prenant "Ca$eyJone$". Ce qu'on perçoit avec ses paroles, c'est la rage autodestructive d'un rockeur, plutôt que l'invulnérabilité d'un rappeur.

Et puis il y ses sons. Tout ancrés soient-ils dans un lourd héritage, ils donnent trop dans la musique de chambre pour ressembler à du rap canal historique. Sur WhiteRapper, on trouve plus de solitude et d'aigreur que d'esprit de gang. La musique y est trop hallucinée, comme avec le bizarre "Gravity", le très électronique "Grime" et l'instrumental opressant "The$oundOfThe$ewer". Elle est bien trop morne, trop abattue, trop contemplative, pour être confondue avec de la black music, du ghetto comme sur ce "Moon" où est samplé le "Hey Hey, My My" de Neil Young. Bones fait du rap de blanc, il n'y a pas le moindre doute. Mais sur cette sortie-fleuve décisive, il en donne par instants la version la plus définitive, la meilleure.

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