Yo-Yo a rejoint le monde du rap dans le sillage d'Ice Cube. Celui-ci, à l'aube de sa carrière solo, était en quête d'une rappeuse, et c'est sur Yolanda Whitaker qu'il a jeté son dévolu. Il l'a d'abord invitée sur AmeriKKKa's Most Wanted pour un morceau, "It's a Man's World", où les deux protagonistes débattaient âprement de la place de la femme dans les quartiers. Puis il l'a épaulée sur chacun de ses albums. Cette association fut durable. Et pourtant, en contradiction apparente avec la réputation de l'ancien N.W.A., classé bien haut dans la liste étoffée des rappeurs les plus misogynes de l'histoire, Yo-Yo, elle, avait un agenda ouvertement féministe.

YO-YO - Black Pearl

Yo-Yo était basée à Los Angeles, et elle était née à Compton. Elle avait participé aux films emblématiques Boyz n the Hood et Menace II Society, et elle trainait avec toute la clique gangsta californienne. Elle fut même un temps la compagne de 2Pac, qu'elle l'accompagna dans ses derniers instants. Et pourtant, notamment sur Black Pearl, un deuxième album sur lequel, à l'inverse du précédent, elle avait eu les coudées franches, elle ne cherchait qu'à répandre un message positif. Celle qui par ailleurs monta une Intelligent Black Women's Coalition s'employait avant tout à défendre son sexe et à en proclamer toute la grandeur.

Yo-Yo encourageait ses sœurs à surmonter l'adversité ("Black Pearl"). Elle vantait la résilience d'une femme abusée ("I Can't Take No More"). Elle les alertait sur les tromperies des hommes ("You Should Have Listened"). Elle les invitait à ne pas se méprendre sur leur ennemi, exhortant une femme trompée à blâmer son époux plutôt que la maîtresse de celui-ci ("Woman to Woman"). Elle traitait de salopes les hommes qui couchent avec tout le monde, leur retournant leur injure sexiste préférée ("Hoes"). Et sur "Cleopatra", elle s'imaginait en super-héroïne venue restaurer l'honneur de la femme noire. Elle était féministe, toujours, avec une telle constance que la sirupeuse ballade romantique de la fin, "Will You Be Mine", détonnait sur l'album.

Le contraste avec Ice Cube n'était pourtant qu'apparent. Car à bien des égards, Yo-Yo était la réplique de son protecteur. Sa musique, bien trop ancrée dans les années 80 pour lui avoir ouvert un large succès, jouait elle aussi sur la vélocité et sur l'efficacité simple de samples funk, sans rien avoir de la sophistication esthétique qu'affirmait à la même époque un Dr. Dre. Ses raps étaient assénés, admonestés dans l'urgence, et il adoptait le même flow que celui de l'autre. L'arrière-plan de ses paroles était toujours cette jungle urbaine oppressante que chantait son collègue, celle où les hommes tombaient comme des mouches ("A Few Good Men"), celle qui, aussi, était un danger pour ses consœurs, auxquelles elle fournissait un guide de survie avec "Home Girl Don't Play Dat", celle qui faisait d'elle une paria sur "So Funky".

Même le côté engagé de Yo-Yo rejoignait la posture et le parti-pris de son mentor, qui avait rejeté le nihilisme de ses anciens compères Eazy-E et Dr. Dre au profit d'un discours certes brutal, mais politique. Sa posture féministe était en fait le miroir parfait de celle d'Ice Cube : elle affirmait avec violence sa fierté de femme, tout comme l'autre l'avait fait vis-à-vis des petites frappes des quartiers. Et sur "It's A Long Way Home", sur ce beat typique de celui qui le produisait, DJ Muggs, elle lançait un mot d'ordre qui résumait à la perfection la philosophie commune des deux rappeurs : "la seule manière de survivre, c'est l'énergie et la critique".

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