Parce que Yaneisha Franklin, qui a grandi à South Side Chicago et qui se mit au rap vers l'âge de 12 ans, était d'un abord fier et pas facile, un oncle la surnomma un jour Sasha Fierce, d'après l'alter ego qu'avait adopté un temps Beyoncé. Et pour la même raison, parce qu'elle y allait franco au micro sur son premier titre, "What We Do", des amis lui lancèrent : "you go hard" (tu y vas fort). Tout cela est resté, et au moment de débuter une carrière de rappeuse, la jeune femme est devenue Sasha Go Hard. Entretemps, elle était entrée en contact avec un adolescent dont elle avait apprécié les morceaux postés sur Facebook, un certain Chief Keef. Elle avait rejoint son entourage (on lui prêta même une relation avec lui, démentie âprement), et appris auprès d'eux à enregistrer sa propre musique. En toute logique, donc, c'est aux Glory Boys de son collaborateur que sa première mixtape, Glory Girl, allait ouvertement se référer.
Tout cela se déroulait au début des années 2010, et ce timing était parfait. Car en 2012, badaboum. Tout à coup, dans le monde trépidant du rap, il n'y en avait plus que pour le style que pratiquaient tous ces gens issus des quartiers chauds de Chicago, la drill, un dérivé de la trap music, mais en plus sauvage, en plus sordide, en plus rugueux, sans les atours chamarrés et sans l'humour que peut avoir parfois le rap du Sud. Chief Keef serait l'incontestable tête de gondole de ce mouvement et, proximité aidant, Sasha Go Hard serait la première rappeuse d'un genre qui en compterait beaucoup d'autres. A 21 ans, avec ses raps rudes, avec son joli minois mais son apparence sobre et ses tatouages, en ne surjouant ni de son sex appeal, ni d'une allure de garçon manqué, elle offrait le visage féminin qu'il fallait à cette scène.
Tout était donc prêt pour que son second projet, Do U Know Who I Am?, se joigne à la déflagration drill. D'autant plus que Sasha y avait mis les formes : produit exclusivement par des gens de Chicago (Absolut-P surtout, mais aussi DJ Kenn, Block on da Track et Young Chop), à l'exception notable de Southside, il était très supérieur à Glory Girl. Il offrait aussi à l'auditeur, avec une voix féminine, tout ce qui faisait la saveur de la drill music : une posture menaçante, des répétitions entêtantes, des paroles hostiles ("Why they Madd"), des hymnes à l'argent ("More Money") et des sons violents qui partaient à l'assaut des oreilles ("A&E"). Seules de légères teintes chantées ("You The One", "Tell Me"), plutôt fades à l'exception du très bon "Thoughts about Leaving", faisaient tache dans cet ensemble abrupt et belliqueux.
Avec ce manifeste qu'était Do U Know Who I Am, Sasha Go Hard proposait, grâce à de franches réussites comme "I Think I Like That" (une sorte de Bonnie & Clyde drill, soutenue par une production brutale et ingénieuse du beatmaker phare du mouvement, Young Chop), quelques hymnes à ce genre musical. Elle prouvait également, avec toutes ces vidéos où elle paradait avec des cohortes de filles, ou quand elle invitait Chella H et l'autre future grande dame de la drill, Katie Got Bandz, sur le tube "Real Bitch" puis sur le finale "I'm Hotta", que cette musique éminemment agressive serait également, et de manière significative, une affaire féminine.
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