C'est une caractéristique de la nouvelle génération de rappeurs : désormais, ils veulent être les rock stars à la place des rock stars. Même si leurs thèmes, sexe, drogue et argent, demeurent ceux habituels à leur genre de prédilection, leur attitude nihiliste, leur imagerie même (cf. la pochette du récent Die Lit, de Playboi Carti), n'hésitent plus à s'inspirer de la scène punk et hardcore. Et ce jugement peut maintenant s'étendre à Rico Nasty, dont la dernière mixtape, Nasty (la première depuis que la rappeuse a rejoint la major Atlantic), multiplie les morceaux où elle s'adonne à des accès de colère, voix abrasive et guitares furieuses à l'appui, comme par exemple "Trust Issues", "In The Air", et ce titre, le meilleur, celui qui résume tout: "Rage".

RICO NASTY - Nasty

Cela n'est pourtant pas le visage que Maria Kelly, une résidente du Maryland, nous avait habitués à montrer. En 2016, ses premiers titres remarqués, "iCarly" et "Hey Arnold", nous parlaient certes de sexe et de drogues, mais ils étaient mélodiques, entêtants, voire sirupeux, et ils étaient nommés d'après des personnages de la chaîne pour enfants Nickelodeon. Sur les pochettes de ses mixtapes pleines de poupées, de petits chats et de tons roses, dans ces vidéos où elle s'exhibait avec des jouets, avec ses perruques fluo et bariolées, Rico Nasty se mettait en scène dans un univers joyeux et enfantin. Elle voulait promouvoir un genre à elle qu'elle avait baptisé, comme deux de ses mixtapes, la Sugar Trap. Et puis, en 2017, elle s'est faite plus dure sur le single "Poppin'". On l'a vue avec une guitare dans le clip de "Spaceships", et elle a adopté des coiffures plus agressives, iroquoises et mèches en piques à la punk.

Nasty est l'aboutissement de cette approche. Il est aussi, sans doute, le meilleur projet sorti à ce jour par Rico Nasty. Et l'une des explications de cette réussite tient en deux mots : Kenny Beats. Revenu d'aventures dans la musique électronique, le producteur s'est occupé d'une grosse portion de Nasty, et il a apporté à la jeune femme les sons qui convenaient à son rap décadent. Sa musique sèche et robotique (fut-elle empruntée au "Superthug" des Neptunes et de Noreaga, sur "Countin' Up"), est celle qui va le mieux à Trap Lavigne, l'alter-ego méchant et furibard de la rappeuse. Et quand ce n'est pas Kenny Beats qui la fournit, c'est un expert en artillerie lourde, Lex Luger, qui s'y colle sur "Transformer". C'est sur de tels beats que Rico Nasty crie sa défiance envers les autres, notamment les hommes ("Pressing Me"). Ils mettent en avant son attitude farouche et je-m'en-foutiste, comme sur l'introductif "Bitch I'm Nasty".

Passée la colère des premiers titres, l'autre personnage de Rico Nasty, Tacobella, pointe le bout de son nez. Nasty compte aussi des morceaux sautillants et chantonnés comme des comptines ("Hockey"), et parfois agrémentés d'Auto-Tune, comme "Won't Change". Les références à l'enfance demeurent, comme avec la musique de jeu vidéo vintage de "Ice Cream", un morceau qui tient des propos X en usant du vocabulaire des sucreries. Cependant, l'un dans l'autre, Rico Nasty joue toujours le même rôle : celui de l'adolescente qui a grandi trop vite, que les autres ne reconnaissent plus ("Life Back"), et qui navigue à vue entre une aigreur démonstrative et un hédonisme inquiet ("Why Oh Why"). Elle est toujours le même personnage. Mais avec "Rage" et les autres temps forts de Nasty, elle vient de trouver la meilleure façon de l'incarner.

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