La fin des années 90 a été un premier âge d'or pour le rap au féminin. Cette période, également, a donné lieu à une diversification des modèles de rappeuses. Certaines, toutefois, continuaient à perpétuer le registre traditionnel : sans insister outre-mesure sur leur identité de femmes, elles se contentaient de bien rapper, et de démontrer, par leur seule maîtrise du micro, qu'elles boxaient dans la même catégorie que leurs confrères. Originaire du New Jersey, Rashia Fisher, alias Rah Digga, était l'une d'elles. Membre des Outsidaz à l'époque où ils étaient les protégés des Fugees, elle était allée à la bonne école, celle du Lyricist Lounge, dont elle était la grande figure féminine avec Bahamadia. C'est là-bas, que Q-Tip l'a repérée. Et c'est grâce à ce dernier qu'elle entrera en contact avec Busta Rhymes et qu'elle rejoindra le Flipmode Squad.

RAH DIGGA - Dirty Harriet

Le titre de son premier album, Dirty Harriet, faisait tout autant allusion à Dirty Harry, le flic brutal incarné par Clint Eastwood, qu'à une célèbre figure de la lutte pour l'émancipation des Noirs : Harriet Tubman. Rah Digga allait y interpréter un personnage, Harriet Thugman, qui serait l'homologue de l'autre, mais à l'heure du hip-hop et du ghetto. Alors que la Harriet originale avait été comparée à un Moïse noir, Harriet Thugman elle, sur le morceau qui portait son nom, promettait de nous emmener vers une Terre Promise hip-hop remplie de bons lyrics, de graffitis et de weed gratis. Une Terre qui avait la forme de l'album typique de rap East Coast.

Sur une musique riche en samples soul et jazz, émaillée parfois de scratches, et produite par d'ardents défenseurs de cette école (entre autres, Pete Rock, DJ Premier, et Mr. Walt des Beatminerz), dans le parfait prolongement du single "Tight", Rah Digga se concentrait sur une suite d'égo-trips délivrés avec orgueil, mordant et sens du verbe, avec l'agressivité de la fille de la rue qu'elle n'était pourtant pas. A un épisode de storytelling près ("Lessons of Today"), s'affirmer était l'unique objet de cet album, que la rappeuse crache sur tout ce qui bouge, comme sur "Straight Spittin', Part 2", ou qu'elle cherche à chauffer le club, comme sur "Break Fool". Même sur le passage R&B de l'album, "So Cool", elle ne savait faire qu'une chose : proclamer inéluctablement, avec force et sans pause, sa supériorité sur tout autre.

Rah Digga n'avait pas d'autre objectif que de se porter à la hauteur des hommes. Elle cherchait à éclipser ses pairs masculins, comme elle le prétendait sur le clavecin de "Curtains". Avec d'autres rappeuses, Eve et Sonja Blade, sur le morceau "Do the Ladies Run This", elle faisait preuve de la même agressivité. Sur le furieux "Fuck Ya’ll Niggas", elle se lançait avec un homme, Young Zee dans un combat d'égal à égal. Ou bien elle s'exprimait sans réserve au milieu des garçons, comme sur "The Last Word", un posse cut des Outsidaz déclamé sur des notes de Verdi (des notes rendues célèbres en France par la musique originale de Jean de Florette), ou "Just For You", un autre avec le Flipmode Squad (comprenant alors un jeune Roc Marciano).

Rah Digga se voulait l'avocate d'un hip-hop sans répartition sexuelle des tâches. Même si, dans ses vidéos, elle mettait quelquefois son physique en valeur, comme le voulait la nouvelle norme de l'époque, elle était avant tout l'héritière d'un rap féminin qui faisait de la dextérité verbale son principal atout. "I can rock without takin off my clothes" ("je peux cartonner sans enlever mes vêtements"), déclarait-elle d'ailleurs sur "What They Call Me", avant de conclure le même morceau en se comparant à MC Lyte, une rappeuse dont elle était en quelque sorte une nouvelle version, actualisée selon les formes en vigueur dans le rap new-yorkais des années 90.

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