Queen Key est l'incarnation du féminisme à la manière du rap américain. Celui qui, plutôt que de désexualiser la femme, proclame à hauts cris son droit aux plaisirs de la chair. Son approche, toutefois, est distincte de celle de CupcaKke, sa collègue de Chicago. Plutôt que d'opter pour la pornographie et la manière frontale, Ke'Asha McClure privilégie un humour et une gouaille qui conviennent à sa voix éraillée qui fait plus que son âge, la petite vingtaine. En réponse à l'habituel "Suck My Dick" des garçons, elle n'en a pas moins nommé Eat my Pussy (mange ma chatte) son EP sorti cette année, celui-là même qui marque son lancement médiatique, consécutif à sa signature chez Machine Entertainment Group en 2017.

QUEEN KEY - Your Highness

Cet EP a été remarqué. On le retrouve dans quelques sélections de fin d'année. Et il a le mérite d'inclure "My Way", le plus puissant des hymnes féministes de la rappeuse. Mais pour apprécier pleinement Queen (pour la nommer d'après son pseudo précédent, avant qu'elle ne réalise que c'était déjà le nom "d'un groupe ou d'un truc comme ça"), il vaut mieux revenir au premier volet des Your Highness, les deux mixtapes qui l'ont fait connaître. Queen Key transcende aujourd'hui les frontières, principalement journalistiques, qui segmentent la scène rap de Chicago. On l'a vu côtoyer King Louie, Dreezy et G Herbo, tous associés à la drill music, tout autant, aux antipodes, que Tink, ainsi que Joey Purp sur son dernier album Quarterthing. Sur le premier Your Highness, cependant, la tendance était clairement à la trap music.

Ça l'était tant du point de vue musical, que pour l'égo-trip excessif et démesuré de la rappeuse, celui par exemple qu'elle délivrait quand elle freestylait sur le "Drip From My Walk" de Famous Dex, ou sur sur le "Cut It" d'O.T. Genasis et Young Dolph. Queen Key commençait sur "Panic" par se positionner au-dessus de ses consœurs. Fidèle au titre de la mixtape, elle se présentait ensuite comme un être supérieur devant lequel le monde s'incline, sur "Been a Fan", épaulée par une autre figure de la drill, Sasha Go Hard. Sur "Killa" usant d'un sample de "Killer Queen" (le tube du groupe susmentionné), tout autant que sur les deux épisodes de "Queen Shit", sur "WTF You Looking At", sur "Exposed" et sur "Fuck Y All", elle était hostile et menaçante, elle s'en prenait à tout le monde, sans distinction de sexe. Et elle goûtait aux plaisirs de la drogue et du stupre sur "Baked as a Pie", le single qui l'avait révélée en 2015, à l'échelon local en tout cas.

Rien de cela n'était inédit, excepté peut-être le point de vue féminin. Mais c'est précisément lui, l'essentiel. C'est ce renversement de perspective. C'est l'affirmation incessante, par l'évocation fréquente des "eaters" (les mangeurs), de son goût pour les cunnilingus. C'est cette façon de traiter les hommes sur "Disrespect", avec la même grossièreté qu'ils ont eux-mêmes longtemps affiché envers les femmes. "J'ai plus de couilles que toi, le mec avec une bite", nous disait par exemple, sur "Senile", ce petit bout de femme qui n'avait franchement pas froid aux yeux.

Queen Key cherchait à impressionner. Et elle y parvenait parfois, avec des titres mémorables comme "Panic", un tube, ou encore la stupide mais irrésistible comptine porno "Hit a Lic". Tout n'était pas parfait sur Your Highness, mais il est compréhensible que certains aient pensé y découvrir une graine de star. En introduction de "Panic", on entendait un homme déclarer : "il y a deux types de poulettes dans la vie, celles qui font les choses, et celles qui les regardent, quel type de poulette es-tu ?". En ce qui concernait Queen Key, bien sûr, la réponse allait de soi.

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