MC Lyte aurait été la première rappeuse à sortir un album solo en bonne et due forme. Mais comme la place des femmes dans le rap n’a jamais été acquise, cela n'a pas été simple. Son arrivée chez Atlantic Records a été imposée par Nat Robinson, le patron du petit label First Priority et le père des gens d’Audio Two, un duo que l’industrie courtisait après le succès de "Top Billin'", la face B de son premier single. Lana Moorer, de son vrai nom, était proche des deux frères (elle fut souvent présentée, à tort, comme leur sœur), et ils voulaient poursuivre l’aventure tous ensemble. L’ironie, cependant, c’est que l’histoire du hip-hop n’a retenu Audio Two que pour le titre susnommé, alors que leur amie est devenue sa première grande dame.
Et si MC Lyte a acquis ce statut, c’est pour une raison simple : comme le démontrait Lyte As A Rock, sorti alors qu’elle n’avait même pas 18 ans, elle faisait largement aussi bien que les hommes. La jeune femme de Brooklyn, qui avait commencé à rapper à l’âge de 12 ans, les prenait à leur propre jeu : elle se livrait avec éloquence à des égo-trips dévastateurs, elle vantait aussi les prouesses de ses DJs, elle représentait son quartier avec conviction sur "Kickin' 4 Brooklyn" et elle se lançait avec agressivité dans du battle rap, s’attaquant notamment à sa rivale Antoinette sur "10% Dis", qu’elle accusait d’avoir plagié "Top Billin'". Elle donnait aussi dans le storytelling à caractère social sur ce qui avait été son premier titre, "I Cram to Understand U", écrit à l’âge de 16 ans, où il était question d’un amant que l’addiction au crack lui avait volé. Tout cela était redoutable, même si la production (essentiellement signée par Audio Two, mais aussi, sur "MC Lyte Likes Swingin'", par un certain Prince Paul dont le groupe d’alors, Stetsasonic, était proche de cette clique), aujourd’hui datée, vient modérer le constat.
MC Lyte défendait parfois son genre. "I am Woman", par exemple, était une allusion à la chanson du même nom d’Helen Reddy, l’hymne officieux du Mouvement de Libération des Femmes en Amérique. "Big Girls Don't Cry" invitait toutes les filles à être comme elle : fortes. Et "Paper Thin", l’un des tubes de l’album, était une déclaration d’indépendance vis-à-vis d’un compagnon volage, menteur et manipulateur. Mais pour l'essentiel, le rap de MC Lyte se confondait avec celui de ses collègues masculins. Elle adoptait leur mode vestimentaire, et ne manifestait sa féminité que par du maquillage et des bijoux discrets. Même la pochette, même son nom, entretenaient l'ambiguïté sur son identité. Visiblement, elle ne voulait pas être résumée à sa qualité de femme. Elle ne cherchait pas à devenir, comme cela sera pourtant le cas, la plus grande rappeuse des débuts du hip-hop, mais l’un de ses grands rappeurs.
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