Bien que sa principale protagoniste rappe avec l'accent du Sud, cette mixtape semble de loin un produit de la scène de Los Angeles. Y participent quelques figures locales, comme YG, Problem et Joe Moses, et elle est produite par l'équipe D.R.U.G.S., connue plus tard pour son association avec Ty Dolla $ign. Iggy Azalea, pourtant, ne vient ni de Californie, ni de Géorgie. Elle n'est même pas afro-américaine, mais blanche, blonde et australienne. Fascinée par le rap depuis qu'elle est devenue fan de 2Pac, Amethyst Kelly s'est envolée à même pas 16 ans pour le pays de ses idoles, trainant à Miami, Houston, puis Atlanta, avant de rejoindre la Côte Ouest, sur les conseils de la maison de disque Interscope.

IGGY AZALEA - Ignorant Art

Ignorant Art porte la marque des années passées au Sud par la rappeuse. Sur fond de synthétiseurs scintillants, elle exalte sa classe innée et ses signes extérieurs de richesse sur "Hello", et elle remodèle le monde à sa mesure sur "My World".

Sans changer de posture, mais sur un tempo plus lent, elle passe d'Atlanta à Houston avec les passages screwed and chopped de "Treasure Island". Et tandis que "Drop That Shit" nous emmène dans le strip club, "Pu$$y" (dont une première ébauche, "Pussy Two Times" a été un remix du "Gucci Two Times" de Gucci Mane) prolonge quant à lui la tradition pornographique du rap sudiste, en s'ajoutant à la longue liste, chez les rappeuses, des hymnes au cunnilingus.

Seuls s'écartent de cette posture insolente une poignée de morceaux où Iggy Azalea joue au contraire de la romance et de la corde sensible : "You" où, s'exprimant sur un sample du Dave Matthews Band, elle attend son prince charmant (lequel sera bientôt, pour quelques mois, A$AP Rocky) ; "Backseat", où elle se languit de leurs futurs ébats sexuels ; et "The Last Song", la plus fragile de ses chansons, une réflexion sur l'amour et sur ce qu'elle attend de son amant.

Iggy Azalea sera critiquée par l'intellectuelle afro-américaine Brittney Cooper pour s'être approprié, avec la complicité coupable d'hommes noirs, une culture qui n'est pas la sienne. Mais comme souvent, les bien-pensants passent à côté de la question. Pas de syndrome Elvis Presley ici. L'Australienne défend cette culture, plutôt qu'elle ne la pille.

Le titre même de la mixtape, une citation de Jean-Michel Basquiat, le montre : Ignorant Art est un manifeste en faveur du rap des rues. Suivant les pas du peintre et graffeur (la pochette détourne une affiche où il figurait avec Andy Warhol), Iggy Azalea questionne la hiérarchie des arts. La première plage de la mixtape, "Dirt in Your Pussy Ass Bitch", insiste sur ce point, mettant en scène un poète qui clame avec solennité des paroles obscènes, tournant ainsi au ridicule la componction et la suffisance de la culture savante.

Quoi qu'il en soit des aspirations et de la légitimité d'Iggy Azalea, Ignorant Art sera un tremplin. Après cela, elle deviendra la protégée de quelques figures de la musique, comme Diplo, le vautour hipster, qui coproduira sa seconde mixtape, TrapGold, et T.I., qui lui ouvrera les portes de son label Grand Hustle. Et puis, après quelques complications avec ses contrats, elle sortira en 2014 son premier album en major, The New Classic, lequel connaîtra un certain succès.

Dans le même temps, Iggy Azalea placera simultanément deux singles numéros 1 et 2 des charts américains, "Fancy" avec Charli XCX, et "Problem", avec Ariana Grande, une première pour une rappeuse. Mais rappeuse, à cette époque, l'Australienne ne le sera plus tout à fait. A la manière de son modèle Nicki Minaj, elle se sera réorientée vers une formule dance-pop destinée à élargir son public, laissant derrière elle cet ignorant art dont elle aura été le porte-parole inattendu.

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