Les premiers éléments remarquables, chez Angel Haze, sont son identité et à sa biographie. Issue des alentours de Detroit, Raykeea Raeen-Roes Wilson (ou tout simplement Roes, son futur nom d'artiste) est non seulement une Afro-américaine, par son père (qui sera tué par balles avant même sa naissance…), mais elle est aussi, par sa mère, une Cherokee. Le nom de Reservation, sa mixtape de référence, fait d'ailleurs allusion aux réserves indiennes. La rappeuse, pourtant, n'a pas grandi dans l'une de ces communautés, mais dans une autre : celle formée par un mouvement pentecôtiste. Dans ce milieu sectaire, elle a subi enfant un lavage de cerveau, elle a été victime d'abus sexuels, et a grandi loin des remous de la modernité.

ANGEL HAZE - Reservation

C'est donc tardivement, quand elle s'est établie à Brooklyn à la fin des années 2000, qu'Angel Haze est venue au rap. Mais elle l'a embrassé tout de suite, tout d'un coup, puisant toute son inspiration chez ses stars de l'époque, Lil Wayne et Drake. Et cela s'entend dans son rap, qui navigue souvent des acrobaties stylistiques du premier, à la posture douloureuse du second.

Sur certains titres, elle cherche à démontrer son aisance verbale, comme avec les tubes de la mixtape : le canon "Werkin' Girls", et "New York" où, sur un sample original de Gil Scott-Heron, elle se livre à des accélérations de flow et elle paraphrase 50 Cent. Sur le dansant "Jungle Fever", elle s'engage avec Kool A.D. de Das Racist dans un dialogue ludique. Et ailleurs encore, sur "Supreme", "Realest" et "Drop It", Angel Haze se montre fière, altière et pleine de confiance.

Mais sur d'autres passages, elle effeuille au contraire son cœur d'artichaut, sur un ton bas et avec quelques chants. C'est le cas sur le biographique "This Is Me", quand elle s'épanche sur le parcours difficile qu'elle a suivi avec sa mère. Ça l'est aussi quand elle disserte sur la souffrance, sur la musique du "Balancê" de la chanteuse portugaise Sava Tavares ("Sufferings First"), quand elle s'engage dans la longue introspection de "Smile n Hearts", ou quand, sur l'étrange et plutôt réussi "Wicked Moon", avec une Nicole Wray sortie du placard, elle lutte contre ses démons. Dans un registre proche, elle s'adonne aussi à des ballades romantiques, comme "CHI (Need to Know)". Et puis surtout, sur le piano triste de "Castle on a Cloud", elle revient avec détresse sur le viol qu'elle a subie autrefois, ainsi que sur ses conséquences.

Mais c'est encore pour autre chose qu'Angel Haze s'est fait connaître, et qu'elle a eu un certain écho jusqu'en Europe, rencontrant le succès en Grande-Bretagne avec le titre susmentionné "New York", et suscitant en France les éloges d'une certaine Catherine Deneuve. La rappeuse, qui s'affirme pansexuelle et sans genre déterminé, qui entretient une apparence androgyne, et qui a alimenté la rubrique people en étant un temps la compagne d'Ireland Baldwin, fille d'Alec Baldwin et de Kim Basinger, est en effet devenue une figure queer, au moment même où l'homosexualité dans le rap cessait d'être un tabou. Cette ambiguïté sexuelle transparait ici, sur "Hot Like Fire", un single porté par un sample d'Aaliyah, et sur le joli "Gypsy Letters", quand elle s'adresse à des amants au genre indéterminé. Mais cette identité ne saurait résumer Angel Haze, et son image publique ne devrait pas occulter l'essentiel : en dépit de son registre vaste et hétérogène, ou plus exactement grâce à lui, Reservation comptait de franches réussites.

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