Les dozens est une vieille tradition afro-américaine qui remonte au temps des esclaves. Comme le travail de ces pauvres gens, condamnés à besogner dur dans les champs de coton, n'était pas des plus affriolants, ils tuaient le temps en se livrant à des concours d'insultes. Cette pratique, c'est entendu, survit dans le rap. C'est à la lumière de ces racines qu'il faut saisir à quel point les outrances et les insanités de cette musique relèvent d'une logique ludique et compétitive. L'ignorer, c'est ne pas comprendre le rap, l'aborder à l'envers, et souvent, en être horrifié. C'est aussi là où elle est née, dans le Sud des Etats-Unis, que cette pratique demeure la plus vivace, par exemple à La Nouvelle-Orléans, où elle a pris la forme du "rib", ou "ribbin'", une discipline grâce à laquelle Samantha James a forgé son talent, alors qu'elle n'était qu'écolière.

C'est en effet par ses compétences de rappeuse battle que 3D Na'Tee s'est fait un nom, en live, via quelques-unes de ses vidéos, puis par des mixtapes comme Guess Who’s Coming 2 Dinner, en 2010. D'abord reconnue sur la scène locale, elle a fini par attirer l'attention de la G-Unit, puis elle a collaboré avec des gens intéressants, Curren$y par exemple, puis Timbaland, avec qui elle devait concevoir une mixtape, The Coronation. C'est pourtant sans la contribution du grand producteur que celle-ci allait finalement voir le jour, en 2012. Mais comme l'indiquait son titre, le couronnement, elle n'en serait pas moins l'œuvre de référence de la rappeuse.

Une grosse partie de ce projet témoignait logiquement de sa formation "rib" : il consistait, dans la plus ancienne tradition du rap, en une collection d'égo-trips et de paroles consacrées à dénigrer tout le monde, et en particulier la concurrence, a cappella si besoin ("Interlude"). Des morceaux comme l'efficace "No Love", par exemple, la voyaient s'acharner sur tous ceux qu'elle n'aimait pas. Et le tout prenait souvent place sur les sons bulldozer en vigueur au début des années 2010, des sons à la Lex Luger, qui produisait d'ailleurs l'un des morceaux, "Wild".

Cependant, au-delà des exercices de style, apparaissait un arrière-plan social particulier. Il était question des bas-fonds de La Nouvelle-Orléans, dont 3D Na'Tee avait pratiqué et subi tous les vices. Ses parents, en effet, avait été tous deux des dealers de crack, devenus accrocs à leur propre came. Quand ils furent embarqués par la police, ou expédiés en cure de désintoxication (puis quand son père décéda), l'adolescente dut gérer seule son foyer, recourir à son tour au commerce de la drogue et découvrir par elle-même les joies et les vicissitudes du sexe. Aussi, l'entend-on tirer des leçons de ces expériences, et donner parfois dans un rap qui fait sens.

On retrouve sur The Coronation, parmi d'autres phases de storytelling, l'un des titres emblématiques de 3D Na'Tee. "Lil Kim" n'est pas, comme on pourrait le penser, consacré à la rappeuse du même nom, mais l'histoire d'une adolescente abusée par un homme plus vieux qu'elle. Livrée à elle-même à cause d'un père emprisonné, Lil Kim sera finalement sauvée par lui, dans ce récit qui fait écho au passé difficile de la rappeuse. Un peu plus tard, sur "Dear Old Me", 3D Na'Tee se faisait encore plus autobiographique, quand elle rendait un hommage émouvant à celle qui l'avait épaulée dans les moments les plus difficiles de sa vie : elle-même.

De tels morceaux prouvaient que 3D Na'Tee n'était pas que le produit de sa formation, une rappeuse battle. Avec sa diversité, avec aussi des titres tentant avec réussite des escapades dans la pop et le R&B ("Role Play", "I Want More", "WTFRU", "Round 11"), The Coronation ressemblait même à un album commercial grand public. Il semblait destiner à un large succès une rappeuse que seule sa persistance à demeurer indépendante (approchée plusieurs fois, par des majors, elle a décliné leurs offres) a empêché de devenir une figure plus reconnue.

Télécharger la mixtape