C'est aux filles de Salt-N-Pepa, au beau milieu des années 80, que l'on doit le premier succès populaire d'un rap conjugué au féminin. Leur premier album, Hot, Cool and Vicious, fut disque de platine, et il lança leur carrière. Cependant, quelques hommes s'affairaient derrière le groupe, et ils seraient décisifs dans cette aventure. C'est en effet l'un d'eux, Hurby Azor, alors en couple avec Salt (Cheryl James), qui manageait le trio. C'est aussi lui qui écrivait une bonne partie des textes des deux rappeuses, Salt et Pepa (Sandra Denton), et qui produisait leur disque. Quant à la DJette, Spinderella (Deidra Roper), arrivée tardivement pour remplacer une certaine Latoya Hanson, elle n'avait signé en fait aucun son sur ce premier album historique.

SALT-N-PEPA - Hot, Cool and Vicious

Et c'est un autre homme encore qui mit les New-Yorkaises sur la voie du triomphe. Leur disque n'avait pas vraiment décollé avant qu'un DJ Californien, Cameron Paul, ne remixe dans une version dansante leur titre "Push It" (à l'origine une simple face B), et qu'il n'en fasse un tube en Amérique, en Angleterre et ailleurs. L'impact fut tel que l'album fut refondu pour inclure ce titre à succès. Avant cela, certes, ces jeunes filles s'étaient déjà faite une réputation dans le milieu hip-hop, sous le nom de Super Nature, en répondant avec leur "The Show Stoppa" au titre "The Show", de Doug E. Fresh et Slick Rick. Mais la nouvelle mouture de "Push It" allait les faire connaître auprès d'un public bien plus large, et contribuer fortement à la vulgarisation du rap, en ces temps fatidiques où triomphaient les Beastie Boys et le Run-D.M.C. de "Walk This Way".

Souvent, Salt-N-Pepa serait comparé à ces derniers. Comme Run-D.M.C, elles comptaient deux MCs et un DJ, elles se contentaient de trames musicales minimalistes et rêches ("It's Alright", "The Show Stoppa"), l'une jouait à clore les phrases de l'autre, et leurs paroles consistaient encore, dans la veine traditionnelle de l'égo-trip, à vomir les "suckers" et à dire tout le bien qu'elles pensaient d'elles-mêmes ("I Desire", "My Mike Sounds Nice"). Leur rap n'apportait pas grand-chose aux formes alors en vigueur. Tout comme leurs pairs masculins de l'époque, Salt et Pepa rappaient sur une musique enjouée encore ancrée dans la old school. Faire la fête était un objectif cardinal, et leur style verbal, encore rudimentaire, reposait avant tout sur leur énergie communicative. Et pourtant, les trois filles posaient déjà les bases du rap au féminin.

Contrairement à d'autres rappeuses de l'époque, qui prenaient soit la posture de la garçonne, soit celle de la grande sœur, ces trois-là jouaient d'ores et déjà de leurs physiques engageants. "Salt et Pepa MC's représentent la beauté", proclamaient-elles sur "Beauty & the Beat". Ce sex-appeal les autorisait à faire la fine-bouche devant leurs soupirants les plus pathétiques ("Tramp", "The Show Stoppa"), à envoyer paître leurs partenaires volages ("Chick On The Side") et à faire leurs courses chez les amants des autres ("I'll Take Your Man"). Dans une démarche féministe, elles inversaient les termes habituels des chansons sur les aventures sexuelles. Sur "Push It", par exemple, elles féminisaient les paroles du "You Really Got Me" des Kinks : les hommes devenaient ainsi un objet de jouissance pour les femmes, plutôt que le contraire.

Avec ce premier Salt-N-Pepa, la musique était encore sommaire, la virtuosité verbale n'était pas toujours là, les rappeuses n'étaient que modérément intimidantes, et si elles osaient parler de sexe, elles étaient encore loin, très loin, de s'aventurer vers la pornographie, comme à l'époque ultérieure des Lil' Kim et Foxy Brown. Mais déjà, si loin de ce point d'arrivée, ces trois femmes qui s'affirmaient d'emblée chaudes, cools et vicieuses, commençaient à montrer la voie.

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