En 1996 The Score, le second (et ultime) album des Fugees est une étape importante dans l'évolution du rap. En prenant le contrepied d'une musique alors très rude, en la mêlant de sonorités issues d'autres genres, et surtout, en reprenant avec succès des standards de la variété internationale ("Killing Me Softly", "No Woman, No Cry"), le trio lui fait atteindre des niveaux inédits d'acceptation. Pourtant, malgré la qualité de ses singles, ce disque est loin d'être parfait. Et c'est à sa rappeuse qu'il revient d'aller au bout des choses et d'offrir à la formule Fugees sa déclinaison la plus aboutie.

LAURYN HILL - The Miseducation Of Lauryn Hill

Un an après, quand débute l'enregistrement de son album solo, Lauryn Hill a déjà quitté le groupe. Les Fugees, en effet, n'ont pas survécu à la fin de sa relation avec Wyclef Jean, l'autre membre éminent du trio. Les rancœurs de cette femme enceinte d'un autre (en l'occurrence Rohan Marley, fils de Bob), alimentent d'ailleurs une bonne part de The Miseducation Of Lauryn Hill. Les titres "Lost Ones", "Ex-Factor", "When It Hurts So Bad" et "I Used To Love Him", semblent tous destinés ou consacrés à son ancien amant. Et "Forgive Them Father" viserait le groupe dans son ensemble.

Plus généralement, cet album permet à Hill d'affirmer son indépendance, en tant que femme, en tant que rappeuse et chanteuse. Elle s'y présente comme une artiste accomplie et qui n'a nullement besoin des autres. Elle le présente comme son affaire, à tel point qu'elle sera poursuivie en justice pour ne pas avoir toujours crédité les musiciens qui l'ont épaulée.

Lauryn Hill tourne une page, donc. Néanmoins, son album est dans la lignée de The Score. Comme lui, il s'emploie à explorer les thèmes traditionnels et adultes de la chanson grand public : les déceptions de l'amour, donc, mais aussi ses joies sur "Nothing Even Matters", et ses pièges, sur le single "Doo Wop (That Thing)" ; sa grossesse et de sa maternité avec le splendide "To Zion" (Zion est le nom de son premier enfant) ; les affres de la célébrité sur "Superstar" ; ou Dieu, sur "Final Hour". Par ailleurs, la rappeuse délivre sur "Everything Is Everything" (avec le piano d'un John Legend alors totalement inconnu) un message d'espoir pour le ghetto.

Côté musique, aussi, Hill confirme ce qui était déjà la particularité de l'album précédent : son métissage sonore. Enregistré pour partie dans le studio Tuff Gong en Jamaïque, avec toute la smala Marley, The Miseducation Of Lauryn Hill a souvent des consonances reggae, voire dancehall. On y entend aussi la guitare de Carlos Santana, vieille gloire des années 70 sur le point de connaître une seconde jeunesse, ainsi que du R&B moderne, avec la diva Mary J. Blige.

Cependant, l'album assume surtout l'héritage des musiques noires étatsuniennes classiques : on y entend les harmonies du doo wop (un titre, on l'a dit, porte ce nom), et beaucoup de soul. Les mélodies possédées, les instruments luxuriants et les élans spirituels de ce genre infusent tout le disque.

La rappeuse rappelle ainsi que, bien avant qu'on la convainque de passer au hip-hop, elle a été une chanteuse. De sa jolie voix légèrement éraillée, elle passe sans cesse d'un registre à l'autre, ouvrant ainsi la voie à un style en formation, la nu soul, ou néo-soul, et se produisant avec une figure du genre, D'Angelo, sur "Nothing Even Matters".

Fidèle au nom de cette musique, Lauryn Hill aura mis toute son âme dans ce disque, à tel point qu'il n'aura pas de suite. Après cela, la chanteuse continuera à faire parler d'elle pour ses nombreux enfants, pour ses caprices de star et pour des démêlées fiscales qui la conduiront un temps en prison. Cependant, hormis un MTV Unplugged, il n'y aura plus d'autre album. Tout son art a été concentré dans The Miseducation Of Lauryn Hill, un disque jalon, l'un des plus célébrés du rap, même s'il n'appartient qu'en partie à ce genre.

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