Le sexe est, depuis des décennies, un thème central dans le rap. Souvent abordé de manière frontale et crue, il lui a valu de violentes accusations de vulgarité et de misogynie, de la part de gens qui n'ont pas toujours saisi (ou goûté) l'humour et le caractère ludique de la démarche. Le choc et les débats sont même devenus plus vifs quand les rappeuses elles-mêmes, les Lil Kim, Foxy Brown, Trina et autres, se sont mises à jouer le même jeu. On vit alors s'opposer deux formes antagonistes de féminisme : celui, rigoriste, qui considère que les femmes ne devraient pas se présenter en objets de désir ; et l'autre, selon lequel affirmer à l'excès ses appétits sexuels et sa libido est un droit inaliénable, ainsi qu'une preuve certaine d'émancipation.

CUPCAKKE - Cum Cake

Si aujourd'hui, ces deux camps existent encore, l'un doit être révulsé, et l'autre conforté, par le personnage de CupcakKe. A peine âgée de 20 ans, cette dernière repousse les limites en matière de rap pornographique, comme l'indique le titre même des singles qui lui ont valu un succès viral sur le Web. "Vagina", "Deepthroat", puis plus tard le dancehall "Juicy Coochie", sont dédiés, respectivement (et avec une bonne dose d'humour), à la voracité de son vagin, à son goût pour la turlute et à son sexe tout juteux. Les paroles sentent violemment le stupre, et leur impact est décuplé par une diction viscérale, souvent furieuse, ainsi que par des sons abrupts, rêches et très électroniques. Et tout cela est d'autant plus audacieux et libératoire que CupcakKe, jeune femme bien en chair, n'est pas à proprement parler un canon de beauté.

L'absence de complexe de la rappeuse, qui n'hésite pas à s'exhiber très dévêtue dans ses vidéos, ainsi que ses paroles éminemment explicites, lui valent d'avoir déjà une assemblée de fan, appelés les "slurpers", et un début de statut d'égérie auprès de la communauté LGBT, dont elle s'est fait l'avocate sur l'un de ses titres. Sa valeur, cependant, n'est pas qu'iconique. Formée à l'origine à la poésie, via la religion, elle jongle facilement avec les mots, et son rap frappe là pile où il faut. Sur Cum Cake, son premier projet, une mixtape sortie au début de 2016, elle cherche aussi à démontrer qu'elle n'est pas la femme d'un seul thème, cette soif de sexe (voire de foutre) représentée par son titre provocateur et sa pochette pas franchement délicate.

Celle dont le vrai nom est Elizabeth Harris, et qui a grandi dans le même quartier, l'un des plus dangereux de Chicago, que Chief Keef et Lil Reese, a aussi des choses à dire sur son entourage. Elle le fait sur "Reality Part 2", un a cappella, où elle critique l'image des femmes dans le ghetto. Elle se fait féministe pour de bon sur "Furniture", où elle refuse d'être traitée comme un élément de décor. Joignant le geste à la parole, elle affirme sa personnalité sur "Image", et elle devient tigresse sur "Kash Doll Diss", un règlement de compte à l'encontre de la rappeuse Keisha / Kash Doll. Elle sait aussi parler d'amour sur un mode plus sentimental que purement physique, nous décrivant son amant idéal ("Darling"), dénonçant les mensonges et les cachoteries de son partenaire ("Pinocchio", "Tit For Tat") et parlant de ses ruptures sur un mode raisonné ("Exceptions"), ou bien, avec des mots fleuris, d'une manière plus agressive ("Yo Lost"). Ou encore, au contraire, CupcakKe aborde les facettes les plus glauques du sexe, quand sur le perturbant "Pedophile" elle décrit son expérience, à 15 ans, avec un vieux pervers.

Depuis ce tumultueux Cum Cake, CupcakKe a livré trois projets : une autre mixtape et deux albums. Tous sont du même tonneau, tous sont imprégnés des mêmes odeurs corporelles. Mais rien n'est aussi détonnant, intense et satisfaisant que ce tout premier essai, à inscrire dans les annales du rap au féminin, dans la catégorie la plus hardcore du hip-hop classé X.

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