Patrick Houston aura toujours vécu dans l'ombre de son petit frère, Jordan. Sa proximité avec la Three 6 Mafia de son cadet, plus connu sous le nom de Juicy J, ne lui aura servi qu'à moitié. Chaque fois que Project Pat aurait pu émerger, il a été rattrapé par des histoires de drogue ou de port d'arme, qui ont entrecoupé sa carrière de passages en prison. Même sa longévité artistique exceptionnelle aura été au fond moins célébrée que celle de Juicy J. Dans la première moitié des années 2010, par exemple, l'aîné des deux a sorti une suite de mixtapes tout à fait solides, dont la série des trois Cheez N Dope (plus une quatrième annoncée pour cette année). Mais dans le même temps, on a évidemment parlé bien davantage des Rubba Band Business et Blue Dream & Lean de son frangin starisé et oscarisé.

PROJECT PAT - Cheez N Dope

Autoproduit:: 2013 :: télécharger la mixtape

Pourtant, et si Patrick était le rappeur le plus important des deux ? Provocatrice, cette thèse a pris de la substance quand, en 2013, l'année des premiers Cheez N Dope, Gucci Mane a sorti le titre "Birds Of A Feather". Sur ce dernier, où il s'amusait à distribuer bons et mauvais points à toute une palanquée d'autres, le rappeur le plus influent de son temps déclarait que Project Pat était son artiste préféré. Et de fait, chez l'homme de Memphis, on trouve très tôt des traits qui deviendront emblématiques chez celui d'Atlanta : des paroles de gangster endurci qui confinent à l'absurde ; un phrasé mécanique, à la limite de la ritournelle, qui vous colle à la tête ; une manière quasiment industrielle de dérouler des morceaux de rap, devenus des produits de série interchangeables, et pourtant irrésistibles.

Quand un rappeur déroule une suite d'albums ou de mixtapes du même nom, il faut toujours revenir à l'édition initiale : si ce n'est la meilleure, c'est au moins le modèle de toutes les autres. Et de fait, la première Cheez N Dope, parrainée par DJ Scream, était une parfaite illustration du style Project Pat. Il la sortait alors qu'il atteignait 40 ans, mais le temps n'avait pas de prise sur lui. Il sonnait toujours actuel, d'autant plus qu'il était secondé par les producteurs du moment, de Memphis même (Drumma Boy) ou d'Atlanta (Lex Luger, Sonny Digital, DJ Spinz).

Cheez N Dope ne proposait rien de surprenant. Il déclinait en roue libre la formule du rappeur, y compris cette manière caractéristique de faire tomber le dernier mot de ses phrases, et d'user de syllabes superflues, pour de simples questions d'assonances. S'y écoulait, à la manière d'un robinet, la litanie insolente habituelle, faite d'odes matérialistes ("Counting Money", "You Kno What It Is"), de drogue ("Weed Smoke", "Kush Ups"), de violence ("Niggas Bleed Like I Bleed", "Burn Me A Nigga") et de la misogynie la plus brutale ("Sackful", "Mollies"). Cela en devenait de la musique d'ambiance, de l'easy listening gangsta rap, dont il n'était quasiment plus possible de discerner des singles, des titres plus marquants que d'autres, sinon quand un grand nom comme Bun B venait épauler Project Pat. C'était de la tapisserie aux motifs thug, mais du genre idéal pour agrémenter ses virées en bagnole ou ses sorties dans la rue, un baladeur vissé sur les oreilles.