Qu'on l'aime ou pas, force est de reconnaître qu'une personne domine le pan féminin de la scène rap dans les années 2010, et que cette personne est Nicki Minaj. La New-Yorkaise originaire de Trinité-et-Tobago a su capter l'héritage des grandes rappeuses qui l'ont précédée. Elle a le bagout et le sans-gêne des Lil' Kim, Foxy Brown et Trina, et elle a l'excentricité et la créativité, tant visuelles que musicales, de Missy Elliott, avec en sus (ce qui ne gâche rien, dans un monde qui continue d'avoir cette exigence envers les femmes), une plastique avantageuse. Qui plus est, son aisance au micro la fait boxer dans la même catégorie que les meilleurs rappeurs de notre temps, sans distinction de sexe.
Que ceux qui, allergiques aux incartades pop de la dame, en douteraient encore, se penchent donc sur sa troisième mixtape, Beam Me Up Scotty, sortie au tournant de sa carrière.
En 2009, celle dont le vrai nom est Onika Maraj n'est déjà plus une inconnue. Cela fait deux ans que Lil Wayne l'a prise sous son aile après l'avoir repérée sur le label de Brooklyn Dirty Money, et invitée sur sa mixtape Da Drought 3. Dans le même temps, ses premières sorties, Playtime Is Over (2007) et Sucka Free (2008), lui ont permis de collaborer avec des rappeurs importants, comme Gucci Mane, présent sur le deuxième. Beam Me Up Scotty, cependant, l'aide à consolider son statut. Il est un solide marchepied vers sa carrière commerciale, grâce à l'efficace single "I Get Crazy", un duo avec Lil Wayne, tout autant qu'à sa qualité d'ensemble.
Beam Me Up Scotty, pourtant, est une pure mixtape. Mixée par DJ Holiday, parcourue de ses slogans et d'interludes parlés, elle est décousue et éclectique. Si elle commence par les minimalistes et frénétiques "I Get Crazy" et "Itty Bitty Piggy", deux titres calibrés pour le club, suivent les refrains R&B de "Kill Da DJ", "Mind on My Money", "Go Hard", "Handstand" et "Envy", le remix du marshmallow "Best I Ever Had" de Drake, la bizarrerie électronique de "Five-O" avec Jae Millz et Gudda Gudda, les samples soul à l'ancienne de "Can't Anybody Hear Me" et "Still I Rise", les chants à l'Auto-Tune de "I Feel Free", les sons techno dancehall de "Beam Me Up Scotty", quelques arpèges de guitare sur les duos avec Lil Wayne, alors en pleine phase rock, ainsi que les collaborations avec Gucci Mane (présent trois fois, autant que Weezy) dans son registre trap, dont l'irrésistible "Easy".
Cela part dans tous les sens, mais les qualités rapologiques de Nicki Minaj y sont toujours éclatantes, dès cette démonstration qu'est "Itty Bitty Piggy". Elle y rappe sur tous les modes, aussi à l'aise à toute allure que sur un tempo lent. Elle y montre aussi son goût pour les punchlines insolentes.
Les thèmes appartiennent à la trinité gangsta habituelle : drogue, argent et sexe. A cela s'ajoutent les clichés machistes, qu'elle revendique et tourne à son avantage, plutôt qu'elle ne nuance, avec son allure hypersexuée ou quand elle proclame son goût irrépressible pour le shopping ("Shopaholic"). Minaj s'affirme alors comme l'une de ces figures féminines revêches et indépendantes qui sont à leur aise dans le rap, comme la rappeuse bad bitch ultime du nouveau siècle.
In the end, it's not gonna be about my talent, you know. It's not gonna be about my connections, it's not gonna be about my looks. It's gonna be about who wants it the most, and... I want it the most.
Au bout du compte, ce ne sera pas une question de talents, tu sais. Ce ne sera pas une question de connexions, ce ne sera pas une question de looks. Ce sera à qui en veut le plus, et… c'est moi qui en veux le plus.
Oui, comme elle le dit en introduction, c'est bien Nicki Minaj qui en veut le plus, c'est elle qui a faim. Après cette mixtape, elle poursuivra son ascension. Ce faisant, elle respectera la règle, cette malédiction du rap, selon laquelle toute femme qui réussit dans cette musique doit s'adonner, en plus, en parallèle, en substitut, qu'importe, à la pop et au R&B. Ses albums compteront de bonnes choses, et ses collaborations seront remarquées. Mais aucun ne sera une version album de ce Beam Me Up Scotty, sa meilleure sortie, sa plus satisfaisante, si celle qu'on aime en elle est la rappeuse.
PS : cette chronique a traité de la version originale de la mixtape, pas de la réédition rémaniée sortie en 2021.