L'histoire se souviendra de Joe Budden comme du rappeur à mixtapes par excellence. C'est par elles que le natif de New-York, établi dans le New Jersey, s'est fait connaître. Dans les années 90, il a bénéficié comme tant d'autres de la publicité offerte alors par les mixes de DJ Clue? et de quelques autres. Et puis, dans la décennie 2000, malgré son tube "Pump It Up" et un premier album chez Def Jam, des divergences avec le label l'ont conduit à revenir vers le circuit des mixtapes. Grâce à elles, notamment celles de la série culte Mood Muzik, il saura faire rebondir sa carrière et se lancer dans de nouvelles aventures, comme le super-groupe Slaughterhouse qu'il formera plus tard avec Royce da 5'9", Joell Ortiz et Crooked I.
Datant de 2003, alors que Joe Budden privilégie encore sa carrière commerciale, la première livraison des Mood Muzik n'est pas spécialement remarquable. Mais il en est autrement des trois volumes suivants. Ils font partie de ces mixtapes rap de référence qui, au cœur des années 2000, se sont mises à ressembler furieusement à des albums. Dès la seconde édition, la plus prisée, le rappeur dose ses morceaux avec science, mêlant de gros beats qui cognent, certains balourds ("Get It Poppin", "Ghetto America", "What's Up"), la plupart efficaces ("Young Niggaz", "World Takeover"), à des instrumentations plus méditatives ("Future") et à des échappées aux frontières du R&B ("If I Should Die Tomorrow", le très bon "For a Reason"). Aussi, de sa voix pâteuse, il s'exprime sur des productions totalement inédites, mis à part les samples et pillages syndicaux dans le rap. Avec le soin qu'on apporte à un album commercial, Joe Budden semble vouloir reporter sur mixtape tout ce qu'il ne peut plus faire avec son label.
Evoluant ainsi à la marge, il développe une posture particulière qui prend sa source dans son parcours personnel. Ce rappeur là, comme d'autres, a eu une existence marquée par la drogue. Mais plutôt que le deal, c'est l'addiction qu'il a connue. Au lieu du ton triomphateur de mise chez certains, c'est donc de la douleur et du pessimisme qu'on entend chez Joe Budden. C'est là même tout le sens du mot "mood", "humeur", dans Mood Muzik ; et la sienne est noire. Sans rien renier de ses aspérités de mauvais garçon, il se montre en proie au doute et à la dépression. Dès "Are You in That Mood Yet", il admet ses échecs, par exemple son incapacité à assumer sa paternité. Sur ce beau titre mélancolique, la mort menace. Plus tard, sur "If I Die Tomorrow", il se déclare même prêt à l'accueillir, sans aucun regret, satisfait d'une vie pleine.
Les leçons qu'il a retenues de son passé, Budden les partage aussi sur le mode du storytelling, comme avec ce modèle du genre qu'est "Three Sides of a Story", le grand tour de force de Mood Muzik 2. Fait de trois récits successifs, dont on découvre in fine qu'ils sont la même histoire, relatée avec les perspectives différentes de ses protagonistes, ce morceau, splendide, est une dénonciation de la spirale de la vengeance et du ressentiment qui sape son milieu.
Sur un autre titre phare de la mixtape, "Dumb Out", le rappeur affirme, exemples à l'appui, que les meilleures heures des rappeurs n'ont pas toujours celles de leur médiatisation. Et sur "Old School Mouse", il se mesure à DJ Clue? et à Jay-Z, se montrant moins taillé pour le succès, mais peut-être, aussi, plus authentique. Dans un cas comme dans l'autre, il a raison ; en 2006, sur une simple mixtape, Joe Budden est plus pertinent que d'autres artistes bien plus en vue.
PS: la mixtape a également fait l'object d'une sortie commerciale ; en voici la pochette.