Autoproduit :: 2006 :: télécharger la mixtape
Datant de 2003, alors que Joe Budden privilégiait encore sa carrière commerciale, la première livraison des Mood Muzik n'a pas été spécialement remarquable. Mais il en a été autrement des trois volumes suivants : ils font partie de ces mixtapes rap de référence qui, au cœur des années 2000, se sont mises à ressembler furieusement à des albums. Dès la seconde édition, la plus prisée, le rappeur dosait ses morceaux avec science, mêlant de gros beats qui cognent, certains balourds ("Get It Poppin", "Ghetto America", "What's Up"), la plupart efficaces ("Young Niggaz", "World Takeover"), à des instrumentations plus méditatives ("Future") et à des échappées aux frontières du R&B ("If I Should Die Tomorrow", le très bon "For a Reason"). Aussi, de sa voix pâteuse, il s'exprimait sur des productions totalement inédites, mis à part les samples et pillages syndicaux dans le rap. Avec le soin qu'on apporte à un album commercial, Joe Budden semblait vouloir reporter sur mixtape tout ce qu'il ne pouvait plus faire avec son label.
Evoluant ainsi à la marge, il pouvait développer une posture particulière, qui prenait sa source dans son parcours personnel. Ce rappeur là, comme d'autres, avait eu une existence marquée par la drogue. Mais plutôt que le deal, c'est l'addiction qu'il avait connue. Au lieu du ton triomphateur de mise chez certains, c'était donc de la douleur et du pessimisme qu'on entendait chez Joe Budden. C'était là même tout le sens du mot "mood", "humeur", dans Mood Muzik ; et la sienne était noire. Sans rien renier de ses aspérités de mauvais garçon, il se montrait en proie au doute et à la dépression. Dès "Are You in That Mood Yet", il admettait ses échecs, par exemple son incapacité à assumer sa paternité. Sur ce beau titre mélancolique, la mort menaçait. Plus tard, sur "If I Die Tomorrow", il se déclarait même prêt à l'accueillir, sans le moindre regret, satisfait d'une vie pleine.
Les leçons qu'il avait retenues de son passé, Joe Budden les partageait aussi sur le mode du storytelling, comme avec ce modèle du genre qu'était "Three Sides of a Story", le grand tour de force de Mood Muzik 2. Fait de trois récits successifs, dont on découvrait in fine qu'ils étaient la même histoire, relatée avec les perspectives concurrentes de ses protagonistes, ce morceau, splendide, était une dénonciation de la spirale de la vengeance et du ressentiment qui sapait son milieu d'origine.
Sur un autre titre phare de la mixtape, "Dumb Out", le rappeur affirmait, exemples à l'appui, que les meilleures heures des rappeurs n'étaient pas toujours celles de leur médiatisation. Et sur "Old School Mouse", il se mesurait à DJ Clue? et à Jay-Z, se montrant moins taillé pour le succès, mais peut-être, aussi, plus authentique. Dans un cas comme dans l'autre, il avait raison ; en 2006, sur une simple mixtape, Joe Budden était plus pertinent que d'autres artistes bien plus en vue.