Young Thug a été l'un des rappeurs de l'année 2013. Il a été aussi l'un des plus en vue en 2014. Et il semble remettre le couvert en 2015, avec la sortie annoncée de projets qui n'ont jamais suscité autant d'intérêt médiatique. Bref, au bout du compte, c'est acquis, Thugger est bien parti pour être l'homme de la décennie, celui qui a redéfini le contenu même du rap dans les années 2010, comme l'ont fait pour la période antérieure son ancien parrain Gucci Mane, ainsi que Lil Wayne, son idole, son modèle, celui dont il explore plus loin encore le style déjanté et marqué par les drogues.

YOUNG THUG - Barter 6

Il se présente plus que jamais comme son héritier, cornaqué qu'il est par son ancien mentor Birdman, et sortant un album qu'il aurait intitulé comme le prochain volet de la série Tha Carter, si Weezy lui-même ne l'avait pas obligé à changer un "C" pour un "B", une allusion, tout comme les tons rouges de la pochette, à son affiliation au gang des Bloods.

Avec Barter 6, nous retrouvons ces mutations de la trap music d'Atlanta dont Thugger, à défaut d'être la seule cause, est la manifestation la plus aboutie. L'arrière-plan, drogue, crime, fric et sexe, demeure le même, mais le propos est peu intelligible. Le rappeur, en effet, apporte un démenti final à ceux qui croient encore que le rap est par essence verbiage et message. S'il retient l'attention, c'est par ses intonations, par la facilité avec laquelle il passe d'un phrasé à l'autre, par ses changements de voix, tantôt plaintive, tantôt toute en murmures, tantôt plus affirmée, ainsi que par ses onomatopées.

Surtout, ici plus que nulle part ailleurs, Young Thug brouille les frontières entre le rap et le chant. Ce n'est plus ni l'un, ni l'autre. C'est autre chose, c'est l'après, c'est la nouvelle et c'est l'ultime métamorphose des musiques noires.

Et c'est plus manifeste encore que par le passé. Car le Thugger de Barter 6, c'est celui plus policé, plus apaisé, plus maîtrisé, de la période Birdman. C'est celui déjà révélé par le projet Rich Gang, où la fanfare synthétique habituelle était mise en sourdine. Le rappeur surexcité et frénétique de 2013, le hurleur fou et hystérique de 1017 Thug et de Black Portland, semble mis au placard. Son goût pour le bizarre et l'allumé est encore présent, mais il est sous contrôle, comme s'il cherchait à mettre de l'ordre dans sa musique, à présent que la presse s'intéresse à lui et que le succès est à portée de main.

La maturité, on le sait, est la pire ennemie de la musique. Mais Young Thug s'en accommode. Certes, Barter 6 n'est pas le choc qu'a été le dense 1017 Thug. Cela ne se passera sans doute jamais plus. Cette sortie se rapproche plutôt de celles de l'an dernier, comme Black Portland, The Tour, Part 1 et Young Thugga Mane La Flare, sa mixtape commune avec Gucci Mane. Elle est moins riche, moins éclatante, mais toujours parcourue de fulgurances saisissantes.

Le formidable "Check", produit par London on da Track, est l'une d'elles, ainsi qu'une nouvelle démonstration de la souplesse et de la versatilité du phrasé du rappeur. "Dome", où il joue avec MPA Duke d'une sorte de crescendo, en est une autre. Et "Just Might Be" est un très beau finale habité.

Sans être aussi forts, d'autres titres méritent une mention, comme ce "With That" où il reste quelques-unes des interjections allumées du Young Thug zinzin, la longue divagation de ce "Can’t Tell", où les prestations de T.I. et de Lil Boosie ne volent pas la vedette à notre rappeur, de même que le mélodique "Numbers". Et s'il y a quelques creux, comme ce mollasson "Amazing", qui obligent à relativiser les critiques les plus élogieuses, celles venues de gens séduits par le Thugger moins farouche d'aujourd'hui, ou d'autres qui prennent tout simplement le train en marche, ces titres plus dispensables n'enlèvent rien à la portée du rappeur, à son statut d'homme phare du rap dans la décennie 2010.

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