Depuis quelques mois, à Atlanta, les gens d'Awful Records repoussent plus loin encore les frontières du rap. Ils sont la prochaine étape, voire le point d'arrivée, de cette longue descente vers le bizarre, l'halluciné et l'expérimental, suivie par nombre d'artistes locaux depuis plusieurs années déjà. Cependant, ce collectif de producteurs et de rappeurs ne s'arrête pas aux limites de la ville. Father, son chef de file, est allé chercher plus loin des personnes partageant son état d'esprit et son anti-conformisme. Il a poussé jusqu'à Vancouver, au Canada où, via la magie d'Internet, il s'est mis en relation avec Tommy Genesis. Celle-ci est devenue le seizième membre de l'équipage Awful, et a sorti sous leur égide un très bon premier album.

TOMMY GENESIS - World Vision

L'intégration de la rappeuse au collectif coule de source, tant son image détonne par sa force et sa singularité. Etudiante en arts, Tommy Genesis est une beauté exotique d'origine indéfinie (elle serait d'ascendance à la fois suédoise et tamoule), qui cultive l'ambigüité sur son orientation sexuelle et aime à se montrer vêtue d'une jupette écossaise d'écolière. Niveau musical, c'est la même tournure inhabituelle, son style de rap oscillant entre un flow saccadé et un phrasé trainard, évanescent, soulignant des paroles passant par les outrances "sexe et drogue" de la trap music, comme par des moments plus éthérés. Même chose encore pour la musique, produite par Tommy Genesis elle-même, par d'autres membres du collectif (Father, KeithCharles Spacebar) et par GODMODEGAME666, où l'on perçoit les influences exogènes d'Awful Records, comme tous ces sons que l'on jurerait issus des musiques électroniques.

Tout cela se traduit par un album digital court et percutant. Hormis une triplette de titres réductionnistes et (intentionnellement, sans doute) en retrait, formée d'un "Angelina" dédié à Angelina Jolie, d'un long "Bump" de défoncée et de son morceau éponyme, World Vision ne compte que des temps forts. Il commence de manière idéale, par l'intro âpre et puissante, tant dans les sons que dans les paroles, de "Hate Demon", puis avec son premier single, le très électro "Shepherd". Il se poursuit avec les échanges de mauvaise fille qu'elle entreprend avec Jay Worthy, un autre rappeur ayant ses bases à Vancouver, sur "Potato Head", avec le tribal "Eden", puis avec le tube bondissant "Execute", manifeste de son indépendance et de son originalité. Puis enfin, l'album se clôt par l'évaporé "Hair Like Water Wavy Like The Sea", avec Abra, autre artiste Awful Records, souligné par une vidéo onirique et lesbo-érotique.

Donnant corps aux ambitions du collectif mené par Father, faisant part, comme elle le proclame sa propre perspective sur le monde, la rappeuse canadienne du lot ne livre sur World Vision que des morceaux éminemment originaux, personnels, et pourtant tout à fait irrésistibles ; trois qualificatifs qui, réunis, ont caractérisé de tous temps les meilleurs albums.

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