Les phantom limbs, ce sont les membres fantômes, ces parties du corps qui ont été amputées, et qui donnent pourtant la sensation de toujours être là, provoquant parfois des douleurs. En considérant le nom de son dernier projet, on se doute des thèmes explorés par Cody Foster, a fortiori si on est familier avec le registre privilégié par celui qui se fait appeler Sadistik. Il y sera question, dans une ambiance morbide et contemplative, de souffrances internes, d'amours complexes et de tourments sentimentaux, en prolongement d'une tradition lancée autrefois par Slug et Eyedea, deux hommes auxquels on a parfois comparé le rappeur de Seattle.
Mais il y aura une surprise en plus, avec ce projet de 22 petites minutes. Et une bonne : le renfort aux beats de Kno, un homme qui aura lui-même déjà usé de ce style qu'on doit appeler, faute de mieux (et tant pis pour la connotation péjorative), l'emo-rap. Ce n'est pas la première fois que les deux hommes collaborent. En 2013 Kno avait déjà produit un titre pour Sadistik, "Kill the Kings", sur l'album Flowers for My Father, où figurait aussi l'autre membre historique des CunninLynguists, Deacon the Villain. Et le rappeur leur avait rendu la pareille un an après, sur la mixtape Strange Journey Volume Three, aux côtés d'Aesop Rock. Phantom Limbs est donc l'aboutissement de ces collaborations. Mais il est aussi l'occasion d'apporter à Sadistik le parfait complément musical, une production aux petits oignons, au diapason de ses raps.
Les raps de Sadistik, parlons-en. Très clairement, le rappeur est à classer dans la catégorie des littéraires, il est de ceux qui aiment travailler leurs textes, tout comme leurs flows. Il s'engage dans des phrases au vocabulaire riche et complexe, comme avec le posse cut "Unaware", un exercice stylistique avec Metasota, Sheisty Khrist, et ce vétéran du rap new-yorkais qu'est Chino XL. Il construit tout un titre, "In Heaven", au sujet de la dame dans le radiateur d'Eraserhead, le film de David Lynch. Et il cultive en permanence l'ambigüité, il joue des contradictions.
Dans "The Darkness", par exemple (où Nacho Picasso vient poser quatre vers très à rebours du registre de son voisin de Seattle), Sadistik semble chercher le confort dans les ténèbres et dans le néant, alors qu'à l'autre bout de Phantom Limbs, avec la belle conclusion de "In Heaven", il nous parle de manière inquiétante du paradis. Sur "To Be In Love", l'amour est un ravissement, une expérience extatique, mais qui ne saurait être que temporaire. Alors que sur "Hers Forever", il est une maladie, une addiction morbide dont il ne parvient pas à se démettre.
Pour habiller le propos, Kno suit l'habitude de Sadistik, qui est d'utiliser des sons peu fréquents dans le hip-hop. Comme sur son très bon album solo Death Is Silent, il use en majorité de compositions majestueuses et aériennes, comme avec le synthé et les chœurs éthérés, presque religieux, de "The Darkness". Ce sont aussi des voix vaporeuses qui vont habiter "Hers Forever", "Daydreams", "Unaware", "In Heaven", ainsi que "To Be In Love", le single, qui a fait l'objet d'une vidéo avec l'actrice porno Angel Del Rey (Kno doit avoir des connexions avec cette profession, il avait impliqué une autre pornstar dans le clip de "La Petite Mort"). Ces chants sont une constante sur ce court album, qui soulignent adroitement les paroles tourmentées et alambiquées de Sadistik. Qu'on soit adepte de ce type de rap, ou qu'on y soit allergique, il faudra au moins reconnaître à Phantom Limbs cette complémentarité presque parfaite.
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