Parfois, quand un genre populaire s'affine trop, qu'il s'esthétise, qu'il se technicise, quelqu'un survient pour le ramener sur terre, pour en faire, à nouveau, quelque chose de simple, d'intense et de viscéral. Ce rôle, dans le rap, peu l'ont assumé aussi bien que Waka Flocka Flame. Apparu dans l'ombre de Gucci Mane et de son 1017 Brick Squad, il a sorti un premier album qui n'a laissé absolument personne indifférent, et a ouvert de manière tonitruante une nouvelle décennie, celle où triompherait un ignorant rap débarrassé pour de bon des derniers préceptes artistiques du hip-hop des années 90.

WAKA FLOCKA FLAME - Flockaveli

Flockaveli est l'un des albums les plus brutaux de l'histoire du rap. Brutal dans ces paroles animales bourrées d'adrénaline, de drogues et de testostérone, uniformément machistes, hédonistes et matérialistes, über-gangsta. Brutal dans les raps, dénués de technicité, comme d'inepties R&B (à moins de considérer "No Hands" comme telle), faits d'une suite de slogans, d'onomatopées et de répétitions beuglés par un mufle. Brutal enfin avec les beats, concoctés par un Lex Luger dont Flockaveli est aussi le grand album, et qui use jusqu'à l'absurde et à la frénésie de gros synthés pompeux, pétaradants, agressifs, tournoyants et hypnotiques.

Flockaveli est l'aboutissement d'une tendance connue et ancienne : celle qui agite depuis des années une bonne part du rap sudiste, par exemple ce crunk dont, selon beaucoup, Waka Flocka est le plus digne héritier ; celle qui veut faire du rap, définitivement, une esthétique du Mal ; celle qui étend le périmètre de cette musique en rappelant que le charisme, la présence et l'impact d'un rappeur ne sont pas forcément qu'une question de skills. Mais il est aussi sa consécration, la confirmation que les règles de ce genre ont changé. Il est le sauveur du rap, il ouvre un nouveau champ des possibles.

Oh, les critiques qui s'en sont pris à Flockaveli n'ont pas toujours eu tort. L'album est trop long, et certains titres, qui tournent à la formule, sont bourrins pour rien. Mais les autres, "O Let's Do It", "Live By The Gun", ce "Bustin' At Em" ultra-violent où Waka Flocka tire sur tout ce qui bouge, les chants de mauvais garçons lâchés en boîte de nuit de "Fuck The Club Up", et puis "Hard In Da Paint", l'hymne ultime pour le rap en 2010… Ô madone, qu'est ce qu'ils décoiffent, que c'est bon ! Au bout du compte, il n'y a que deux raisons pour résister à un tel bulldozer : être un mauvais coucheur qui s'entête à bouder son plaisir, ou avoir salement dépassé la date de péremption pour auditeurs de rap.

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