La gloire de Fondle'em, mais aussi son tort, c'est d'avoir privilégié le format EP. Pour cette raison, dans ce monde qui, malgré la dématérialisation des sons, considère encore l'album comme l'œuvre musicale définitive, le label fondateur du rap indépendant new-yorkais n'a pas laissé d'héritage à la hauteur de ses mérites. Qu'il s'agisse des Cenobites, des Juggaknots ou des Arsonists, tous ont dû consacrer des maxis ou EPs d'anthologie en les transformant en véritables LPs, y ajoutant quelques démos, freestyles, raretés ou titres plus récents. Cet exercice a réussi à certains, comme les Juggaknots avec Re:Release. Mais le plus souvent, ces versions augmentées se sont révélées un peu bancales. C'est le cas de The Visualz Anthology, une compilation des travaux de Siah et Yeshua sortie en 2008.

SIAH & YESHUA DAPOED - The Visualz Anthology

Fondle'em / Traffic Entertainment :: 1996 / 2008 :: acheter cet album

Sorti en 1996 par ces deux rappeurs de Brooklyn, The Visualz n'était donc qu'un EP, et il ne comportait que six titres. Mais quatre d'entre eux, ceux qui occupaient la première face, même s'ils s'évertuaient à creuser encore et toujours le sillon d'un jazz rap new-yorkais déjà moribond, se montraient proches de la perfection.

Signés par Siah et Yeshua eux-mêmes, avec le renfort de leur ami Jon Adler, les beats se voulaient plus suaves, grâce à leurs pianos, saxophones, contrebasses, cymbales et orgues agiles, remplis de swing, et parfois pimentés des scratches de DJ Bless, comme sur l'admirable "No Soles Dopest Opus". Et avec leurs raps souples, les MCs cherchaient à démontrer leurs skills et leurs velléités poétiques, quitte à livrer des vers abstraits et ésotériques, comme sur "Gravity". Ce côté arty, ils l'exploraient encore davantage sur la face B, avec "A Day Like Any Other", un titre conclusif de plus de 11 minutes, dont le beat changeait à chaque nouvel épisode narratif, et qui abandonnait le thème récurrent des wack MCs pour aborder des souvenirs de littérature enfantine, comme Le Magicien d'Oz et Narnia.

Sorti uniquement en vinyle, le disque d'origine était excellent. Mais pour en faire un CD il avait été augmenté de 14 autres plages, et toutes n'étaient pas aussi percutantes. Quelques ajouts étaient des réussites, comme "Pyrite", un solo de Siah qu'on croirait sorti de The Low-End Theory, comme "Transatlantic", une collaboration avec les Anglais de Unsung Heroes, ou encore les aériens "Hairy Bird Reprise" et "Untitled". Mais d'autres passages s'avéraient plus dispensables. Ils sonnaient plus scolaire, ils se montraient ennuyeux. Quant aux improvisations à la radio qui étaient incluses ici, elles étaient avant tout des archives, des documents.

Car c'est aussi cela, que les auteurs de cette version enrichie de The Visualz avaient cherché à faire : un documentaire, comme le montraient aussi les photos, les articles et les mots de Bobbito qui accompagnaient le disque. Un témoignage, à propos d'un duo qui, en plus d'avoir échappé à de nombreux écrans radar, s'est séparé bien trop tôt pour livrer autre chose que ce qui nous est offert sur ce CD.