A qui doute encore que le Royaume-Uni est l'un des pays qui a su le mieux adapter le rap à son univers culturel rien qu'à lui – pas l'acclimater comme partout ailleurs, mais vraiment le changer en autre chose, le transfigurer – il faut présenter le premier album de The Streets. Originaire de Birmingham, Mike Skinner est en effet un enfant de son pays, autant, sinon plus, qu'un héritier des rappeurs américains.
Côté sons, c'est avant tout sur les musiques britanniques du nouveau siècle, UK garage, two-step, dubstep, que s'exprime notre homme, plutôt que sur du bon vieux boom bap new-yorkais. Il pose sa voix sur des nappes, sur une électronique transbahutée des clubs jusqu'à sa chambre, ou bien, plus marginalement, sur ces sons jamaïcains toujours si appréciés Outre-Manche ("Let's Push Things Forward").
Côté paroles, avec sa chronique de la vie ordinaire des jeunes des Midlands, avec ces écrits autobiographiques amers, nostalgiques ("Weak Become Heroes") ou dépressifs (le magnifique "Stay Positive"), avec ses histoires de filles, de drogue, de junk food, de jeux vidéo et de désœuvrement, il perpétue la tradition anglaise du commentaire social caustique représentée en leurs temps par Ray Davies, les Specials ou Billy Bragg. Il nous propose quelques saynètes mémorables, comme cette discussion imaginaire entre un adepte de weed et un hooligan enivré, s'opposant sur les risques respectifs de leurs drogues de prédilection ("The Irony of It All").
Avec son débit plus parlé que saccadé, Mike Skinner donne davantage dans la spoken poetry que dans le rap. Il se positionne comme le poète de l'Angleterre post-rave, tout comme John Cooper Clarke a été autrefois celui de l'après-punk. Et comme chez ce dernier, la musique, qui paraît d'abord fonctionnelle, secondaire, vectrice d'ambiances, s'avère absolument décisive au fur et à mesure des écoutes.
Tout, chez The Streets, renvoie donc à son pays. Il use de l'accent cockney, il dit plus facilement "oï" que "yo", et il prend un malin plaisir à ne pas singer les modèles d'Outre-Atlantique. "Around here we say birds, not bitches", proclame-t-il d'ailleurs, sur le bien nommé "Let's Push Things Forward", se moquant de l'argot américain que certains Anglais ont bêtement cherché à importer dans leur musique.
Si seulement les apprentis rappeurs d'Europe avaient retenu la leçon… Mais il n'est pas dit, malgré l'accueil favorable reçu en son temps par Original Pirate Material, qu'ils aient tous eu le loisir d'écouter ce quasi-rap so british, si délicieusement bâtard, si métissé, si différent de tout ce qu'ils connaissent.