"Organized Konfusion est un duo basé dans le Queens, spécialisé dans les rimes sophistiquées, au détriment d'une production généralement terne". Voici comment le All Music Guide entame sa biographie de l’un des duos les plus culte de l'histoire du rap, son groupe underground ultime. Personnellement, et même si la fameuse encyclopédie en ligne modère ses propos dans d’autres textes, je m’insurge contre une telle description. Elle prétend que Pharoahe Monch et Prince Po se seraient distingués par leurs paroles d’intello, plutôt que par leurs beats. Or, cela est totalement faux.
Prenons leur premier album. Les paroles y sont un élément distinctif important, en effet. Elles sont intriquées, complexes, hallucinées, articulées autour d’égo-trips futuristes et émaillées de termes savants façon "cytoplasme" ou "hyperchloride", qu’on ne croiserait ailleurs que dans des ouvrages scientifiques. Renforçant cette impression de sérieux, nos deux rappeurs sont engagés, ils se lancent dans des propos politiques sur "Releasing Hypnotical Gases" et "Prisoners of War", ou dans un sermon religieux sur "Open Your Eyes".
Cet aspect abscons, grave et sans concession est d’ailleurs, sans le moindre doute, ce qui a écarté le groupe du succès et, en contrepoint, ce qui a conforté son incommensurable cote underground, faisant d'eux de grands précurseurs de la vague rap indé qui sévira à la fin des années 90.
Cependant, en plus de jongler habilement avec des paroles alambiquées, ces rappeurs ont du flow. Leur rap est offensif, bondissant. Il joue d’effets redoutables, comme les chœurs de "Fudge Pudge". Leur phrasé est plein d’astuces et de jeux, qui ajoutant à la musicalité du disque : pauses, syllabes étirées, détachées ou hachées, mots appuyés ou sur-articulés, répétitions, off-beat, bribes de chant, onomatopées. Et puis, de façon récurrente, véritable marque de fabrique du duo, empilement de noms et d’adjectifs partageant le même champ lexical ou les mêmes allitérations, façon "… blunt a radical creator of a poetical hypnotical mathematical…".
Quand bien même le sens est difficile à capter, a fortiori quand on n'est pas né en milieu anglophone, il se passe définitivement quelque chose avec le phrasé de ces deux-là.
D’autant plus que, contrairement à ce que laisse entendre le All Music Guide, les beats sont au rendez-vous. Ce n’est pas par défaut que ces deux bons-à-tout-faire, qui n’ont eu besoin que d’O.C. pour les seconder au micro, ont produit leur propre disque. C’est parce qu’ils excellent aussi dans ce domaine. Leur musique n'est pas toujours tape-à-l’œil, c’est vrai. L’ambiance est funk et jazz, comme pour tout le rap de cette époque ou presque. Et les boucles sesont parfois linéaires ("Organized Konfusion", le léger "Who Stole my Last Piece of Chicken", cette "Intro" située… vers la fin).
Mais le hip-hop, fut-il grand public, a déjà fait plus austère que ce "Walk Into the Sun" funky au point de lorgner vers les dancefloor, que cette seconde partie de "Releasing Hypnotical Gases" à mi-chemin du Bomb Squad et de la "rave music" qui émerge à la même époque, que l’haletant "Prisoners of War", que le tintement étrange du prodigieux "The Rough Side of Town", et que le souple "Open Your Eyes".
Organized Konfusion est un duo complet. L’alchimie entre beats et lyrics opère avec le même bonheur que celle, au micro, entre Pharoahe et Prince Po. A l’occasion, ils proposent la formule rap idéale, une formule qu’ils affineront sur l’album suivant. C’est un hip-hop intellectuel et élaboré, certes, mais qui ne cesse jamais d’être tranchant, direct et viscéral.
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