En 1993, Black Moon, le Wu-Tang et quelques autres replacent brutalement la Côte Est au centre du grand jeu du rap. L'année d'après, ce retour en grâce est consacré par des gens aussi divers que Nas ou Biggie. Mais c'est en 1995 que le renouveau new-yorkais se manifeste dans son expression la plus pure et la plus définitive, avec le second Mobb Deep.

MOBB DEEP - The Infamous

Leur rap a retenu l'essentiel de son rival californien : des paroles nous parlant de crime, de ghetto et de la sempiternelle confrontation avec la police. Prodigy et Havoc ont beau s'être connus dans une école d'art, pas dans une bande organisée, ils déclinent mieux que quiconque le mythe du gangster. Mais alors que là-bas, à l'Ouest, on exalte un mode de vie gangsta hédoniste, qu'on lui donne un tour glamour et rutilant avec décapotables et "bitches" à l'avant-plan, les New-Yorkais, eux, préfèrent en rapporter le côté obscur.

Ce hip-hop qui, pour la petite histoire, aura une influence majeure sur le rap de rue à la française, est uniformément sombre, glauque, poisseux et pessimiste. Les deux rappeurs du Queens nous dépeignent des bas-fonds sans espoir et sans issue, des quartiers où règnent la mort, la violence et la loi du plus fort, une jungle urbaine plongée dans une atmosphère paranoïaque et où chacun, livré à lui-même, tente de survivre sous les feux croisés des gangs rivaux et des flics.

Noir, c'est décidément noir. Et les sons sont dans les mêmes tons que les paroles. Produits par Havoc, avec l'appui occasionnel de Q-Tip, ils sont plus sobres et ténébreux que jamais. Sinistres, parcourus de pianos lugubres, de cuivres impromptus, de boucles courtes, de percussions appuyées et de basses étouffantes, ces beats sont tout en ambiances. Ils sont la bande-son imaginaire d'un thriller policier rude et angoissant. Quelques titres, certes, semblent plus apaisés ("Give Up the Goods"), voire ils flirtent avec le R&B ("Temperature's Rising"). Mais le duo y reste fidèle à son registre.

Le plus souvent, ces merveilles de minimalisme que sont "Survival of the Fittest" et le fabuleux "Shook Ones, Pt. 2", tous deux sortis en single, sont cités comme les temps forts de l'album. Mais peut-être est-ce sur des plages moins fréquemment mentionnées que la formule atteint le summum de l'efficacité et de l'épure, avec le synthétiseur funèbre de "Q.U. - Hectic", ou bien avec la guitare mordante et la basse abyssale de ce "Right Back at You" où ont été conviés Raekwon et Ghostface Killah, deux autres grands moments de ce pinacle du rap de rue que demeure encore The Infamous.

Acheter cet album