En 1994, les rappeurs californiens parlent d’un avant et d’un après Chronic Age. L’album solo de Dr. Dre, qui vient alors de quitter N.W.A., a en effet confirmé la suprématie de la Côte Ouest sur le terrain disputé du hip-hop. Il est aussi le détonateur du succès de Snoop Dogg, Warren G, Nate Dogg et compagnie. En consacrant le g-funk, versant cool, mélodique et accrocheur du gangsta rap, il édicte les canons d'une musique qui va dominer le milieu des années 90.

DR. DRE - The Chronic

Basses énormes, coulées généreuses de synthé et samples issus en bonne partie du p-funk de George Clinton, sont l'écrin de textes irrévérencieux qui nous exposent les détails d'un art de vivre composé de sexe, de violence, de soleil californien, de grosses bagnoles, de barbecues et de substances plus ou moins licites ("chronic", en argot local, désigne le cannabis), et qui rendent glamour l'univers des gangsters.

Le tout est le plus souvent déclamé sur un phrasé relax par les amis d’un Dr. Dre qui, meilleur musicien que rappeur, a eu la bonne idée de convier plusieurs invités, dont Snoop Dogg, qui lance ici sa carrière. A l'occasion, ce rap-là sait aussi céder la place aux chants et aux mélodies. "Fuck wit Dre Day", "Let me Ride", "Deeez Nuuuts" (fermez les yeux, vous voyez rouler les décapotables) sont des modèles du genre. Mais la perle, c'est cet extraordinaire single "Nuthin’ but a "G" Thang", le sommet de l'album et de tout un genre.

L'album, toutefois, n'est pas uniforme. L'hostile "The Day the Niggaz Took Over", par exemple, renoue avec un minimalisme hardcore, agrémenté d'une pincée de ragga, et il brandit à nouveau de la menace noire, un thème d'actualité en cette année 1992 marquée par des émeutes à Los Angeles. Même chose pour ce "A Nigga Witta Gun" au ton martial, avec ses basses agressives, ses scratches furieux et ses bruits de flingue. Avec ces titres, avec aussi ses relents misogynes et homophobes, ou encore ses attaques contre l'ancien compère Eazy-E et les rappeurs de la Côte Est, The Chronic ne se résume pas à de la lounge music pour gangsters sympas.

Cependant, il cartonne, s'écoulant à plusieurs millions d'unités, dominant toute une époque, inspirant de nombreuses autres œuvres g-funk, dont peu atteindront ce niveau. Même pas sa réplique de l'année d'après, un Doggystyle où, de son flow cool et sans effort, Snoop Dogg (alors impliqué dans une affaire de meurtre…) jouera à fond de ce contraste savoureux entre des paroles outrancières issues du passif gangsta rap et une musique éminemment séductrice.

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