XL Recordings :: 2004 :: acheter ce disque
A posteriori, il est facile de comprendre pourquoi le jeune prodige bénéficia d'un tel accueil. Son profil, sa musique, tout caressait la critique locale dans le sens du poil. Dizzee Rascal était un fantasme devenu réalité. Des bas-fonds d'East London, apparaissait donc un génie précoce, un jeune Noir de 18 ans, rejeton d'une famille monoparentale, et porte-voix d'un genre musical inédit, bientôt déonmmé "grime". Et avec cette scène nouvelle, c'était comme si un autre rap était né de lui-même à Londres, se nourrissant des racines jamaïcaines et de l'immense culture rave britannique, plutôt que de s'inspirer des Américains. Flattant le nationalisme d'une critique britannique en quête perpétuelle de ses nouveaux Beatles ou de ses nouveaux Sex Pistols, il concrétisait l'espoir ancien d'un hip-hop purement anglais.
Une hype pareille, beaucoup d'artistes y auraient succombé. Le retour de bâton, en effet, est parfois cruel. Dizzee Rascal, cependant, eut le bon goût de sortir un second album, Showtime, qui concrétisait le coup d'essai de Boy In da Corner, à peine un an plus tard. Un album qui lui était même sensiblement supérieur.
Comme le titre l'indiquait (le spectacle commence), il s'agissait pour lui de jeter un regard sur le grand cirque du show-business, qu'il venait tout juste de rejoindre. Dès le tube "Stand Up Tall", propulsé par un beat façon jeu vidéo à l'ancienne, Dizzee Rascal retraçait son parcours sur un ton conquérant. Il s'affirmait encore sur le dépouillé "Everywhere", puis sur l'excellent et le ténébreux "Respect Me". Conscient qu'on l'entendait désormais bien au-delà de son cercle londonien, Dizzee Rascal, en bon rappeur, représentait sa ville et son ghetto face au reste du monde ("Graftin", "Get By"). Mais tout cela n'excluait pas des commentaires goguenards sur la célébrité et le statut de V.I.P. ("Hype Talk", "Flyin'"), un brin d'autodérision ("Face"), et un oeil critique sur son parcours avec le poignant "Imagine".
Malgré son jeune âge, Dizzee Rascal se montrait perspicace. Mais ses propos n'auraient rien été sans tout le reste, comme ce phrasé reconnaissable, cet accent londonien particulier où tous les "ou" se prononcent "u" (cf. "Knock, Knock"), ce ton à la fois fanfaron et comique. Sans surtout ces beats, irrésistibles à force de cultiver les bizarreries (le son oriental carillonnant de "Learn", le faux-airs dancehall de "Girls", successeur désigné du tube "I Luv U"), avec ces sons issus de l'énorme héritage des musiques électroniques en Angleterre, comme l'ambient du très bon "Flyin'" et le sautillant finale "Fickle". Même si les beats sont limite cheap, il n'y a pas grand-chose à jeter sur Showtime. Peut-être juste ce pauvret "Get By" lorgnant dangereusement vers le R&B avec son intervention féminine.
Beaucoup de bêtises ont été dites sur Dizzee Rascal au moment de la sortie de Boy in da Corner, en particulier qu'il inventait le rap du futur. Cependant, non. Le grime, en dépit des efforts d'un Wiley et de toute autre émanation du Roll Deep Crew, peina bien trop souvent à produire des albums aussi pérennes et convaincants que ceux du jeune Dylan Mills. Dizzee Rascal n'était pas la tête de proue d'un mouvement destiné à changer la face du rap. Il était en fait beaucoup plus que cela : un artiste singulier, accompli ; l'un des rares Anglais à n'avoir rien à envier, en termes de talent et d'originalité, à ses collègues d'Outre-Atlantique.
Chouette chronique. Il a résisté à la hype le temps du deuxième album. Mais pour la suite...
Sinon une petite faute : "Mais tout cela n'excluE pas des commentaires goguenards".
Sacré Dizzee ! j'aime aussi cet album. En fait, j'aime même les deux suivants (Maths+English est peut-être celui que je préfère), le dernier a beau verser dans la "soupe populaire" comme j'ai pu lire à droite à gauche, ça reste le temps de quelques morceaux, agréable.