Dans les années 90, Cypress Hill marque l'histoire du rap pour trois raisons. Rappant à l'occasion en espagnol, ils sont ses premières stars latinos, et ils démontrent que cette musique peut représenter tout aussi légitimement d'autres minorités que la communauté afro-américaine. Par ailleurs, ils ont des affinités avec le rock, devenant les héros rap de la scène alternative qui explose au même moment. Enfin, ils militent fièrement pour la dépénalisation de la marijuana.

CYPRESS HILL - Cypress Hill

Cette dernière caractéristique peut sembler la plus anecdotique des trois ; c'est au contraire la plus notable. B Real, Sen Dog et DJ Muggs, en effet, ne se contentent pas de se faire les avocats de l'herbe magique : ils nous délivrent un hip-hop décisivement marqué par son influence.

Vu de loin, le premier Cypress Hill ne jure pas dans le paysage du gangsta rap californien, quand il étale sa haine des flics ("Pigs"), ou qu'il expose ses envies de meurtre ("How I Could Just Kill a Man") et ses pulsions sexuelles ("Tres Equis"). Pourtant, il y a de l'inédit, à commencer par le timbre de B Real, nasal à souhait, en contraste parfait avec celui de Sen Dog : dorénavant, n'importe quel rappeur parlant un tant soit peu du nez lui sera comparé.

Et puis donc, il y a l'influence de la marijuana, qui transparait à travers des paroles tantôt loufoques tantôt psychotiques, une posture à mi-chemin entre le clown et le gangster, et les beats hallucinés, bizarres et embrumés concoctés par leur producteur DJ Muggs. Avec Cypress Hill, portés par des basses profondes, les sons semblent sortir de la fumée d'un joint. Ils deviennent plus fiévreux et plus délirants.

Plus tard, au risque de l'auto-parodie, le groupe poussera plus loin la formule avec le stoner rap du lourd Temples of Boom, leur troisième album. Les sons du premier n'en sont pas encore là. Distordus et déglingués, ils n'en sont pas moins sautillants, funky et endiablés, comme ceux du rap d'alors. Cependant, dès après ce premier album, le meilleur de Cypress Hill, le hip-hop ne sera plus tout à fait le même.

L'ode au cannabis deviendra un exercice obligé pour les rappeurs. Dr. Dre s'inspirera de ce son lorsqu'il enregistrera son monumental The Chronic, autre album enregistré sous l'influence des narcotiques. Et le meilleur rap des années 90 jouera à son tour et à l'envi des ambiances brumeuses, allumées et imprégnées de THC popularisées par DJ Muggs.

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