A partir de 1988, avec la déflagration N.W.A. et, plus généralement, avec le succès du gangsta rap et du g-funk californiens, la suprématie de New-York sur le hip-hop semble violemment contestée. Mais en 1993, sonne l'heure de la revanche, avec une suite de disques retentissants qui lui permettent de reprendre sa couronne, au premier rang desquels figure ce tonitruant Enta da Stage, de Black Moon, premier et meilleur album à nous venir du Boot Camp Click.

BLACK MOON - Enta da Stage

Issus de Brooklyn et signés sur Nervous Records, Buckshot, Evil Dee et 5 Ft. Excellerator ont sorti en 1992 un single au succès fulgurant, "Who Got the Props", qui s'écoulera à 250 000 exemplaires. Toutefois, en dépit de cet accueil enthousiaste, le groupe s’accorde de longs mois avant de sortir son premier LP, produit par les Beatminerz (Evil Dee et son frère Mr. Walt), sous le contrôle de sa propre équipe de management (Duck Down, soient Buckshot et Big Dru Ha).

Les critiques élogieuses de KRS One, tout heureux de se découvrir des héritiers, ne trompent pas. Black Moon ("Brothers Lyrically Acting Combining Kickin' Music Out On Nations", tout un programme) revient avec Enta da Stage à la concision de Boogie Down Productions et à l’âpre son new-yorkais des années 80, mais avec les moyens supérieurs et la production de l’époque, signant une œuvre à la fois intemporelle et éminemment représentative des années 1993-94.

Rarement raps et beats se sont aussi bien complétés que sur cet album. Aux paroles agressives et menaçantes des deux rappeurs, aux chœurs guerriers (ceux notamment de Smif'n'Wessun), parfois renforcés d'accents jamaîcains ("Black Smif'n'Wessun", "U Da Man") répond la production sombre et minimale des Beatminerz. Evil Dee et son frère soutiennent les raps à grand renfort de samples jazz superposés, étouffés et malmenés, relevés par quelques sons brefs (un saxophone, presque toujours, parfois des cordes) et des basses à éclater les murs.

Dépouillée et sans fioriture, la production se passe de tout détail superflu. Même les scratches sont réduits au strict minimum. Les Beatminerz ne retiennent que l’essentiel, l’ossature, le fondement, comme sur "Shit iz Real" où une boucle de saxophone laisse place à un bref intermède synthétique et à des percussions rachitiques. Ce sont des merveilles de concision : écouter "Make Munne" et agoniser ; se délecter de "Slave" et mourir. Avec Enta da Stage, Black Moon livre un travail musical définitif, et une œuvre majeure du rap hardcore new-yorkais.

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