A Tribe Called Quest ayant su se renouveler constamment, il y en a pour tous les goûts sur ces classiques certifiés du rap que sont leurs trois premiers albums. Eclectique, inventif et malin, People's Instinctive Travels and the Paths of Rhythm, après avoir attiré l'attention du public rock et blanc par un sample de Lou Reed, avait de quoi séduire bien au-delà du public hip-hop, tandis que le jazz rap tiré au cordeau de The Low End Theory continue d'être le saint graal des puristes.
Cependant le troisième, Midnight Marauders, est peut-être bien le meilleur. Plus varié, moins taillé dans le roc que son prédécesseur, plus attractif aussi, il ne connaît toutefois aucun des égarements du premier, il ne s'essouffle jamais.
Tribe ayant enrichi le jazz rap sobre et profond de The Low End Theory par un son plus accrocheur, Midnight Marauders sera leur plus grand succès commercial, grâce notamment à l'impact du single "Award Tour". Et le grand public, parfois, ne se trompe pas. Tout est bon, tout est culte sur ce disque. A commencer par cette pochette culte et chamarrée dans la lignée des précédentes, qui compile les visages d'une cinquantaine de rappeurs qui comptent en cette riche année 1993, l'une des plus grandes connues par ce genre musical.
Avec Midnight Marauders, triomphe l'esprit fun et imaginatif qui est la marque du collectif Natives Tongues, dont Tribe Called Quest a été l'un des fondateurs. L'humour est présent dès l'introduction, avec cette voix façon messagerie téléphonique qui nous guidera tout au long du disque.
On respecte ici les passages obligés du rap, on parle de la rue, on rend hommage à ses pair sur "God Lives Through", on se lance dans des égo-trips et des battles, de "Steve Biko" à "Lyrics to Go", mais d'une façon excessivement fantaisiste. Et on n'oublie pas de traiter de sujets plus légers, les filles en premier lieu, sur "Electric Relaxation", autre single épatant issu de l'album. Et puis, à l'occasion, on invite un boute-en-train, comme l'azimuté Busta Rhymes sur "Oh My God".
Le son de The Low End Theory habite toujours cet album, avec des boucles profondes comme sur "Clap Your Hands". Mais la formule est plus enjouée et plus ensoleillée. Ali Shaheed Muhammad, le DJ, s'inspire toujours du jazz et de la Black Music dans son ensemble, mais il privilégie des instruments joyeux et chatoyants, trompettes, percussions et claviers en tête, agrémentés parfois de scratches entrainants.
Nos rappeurs prennent du plaisir, mais ils ne se retirent pas du monde. Midnight Marauders a beau être un album taillé pour le succès, ils savent se montrer engagés. Sur "Sucka Niggas", par exemple, Q-Tip se livre à une habile réflexion sur ce mot maudit, "nègre". Sur "Midnight", le même nous présente l'envers du décor de la vie nocturne. Et sous ses airs dansants, l'irrésistible "We Can Get Down" est en fait un titre à message, une invitation à saisir la vie du bon côté.
Toujours, par exemple quand Phife Dawg explore les à-côtés du succès sur "8 Million Stories", les deux rappeurs préservent cet équilibre entre humour et justesse des propos, cette qualité des Natives Tongues, son grand apport au rap.
Juste avant que des couleurs sombres et la posture hardcore ne submergent pour longtemps le rap new-yorkais, le style de ce collectif fondamental brûle ses derniers feux, sur ce dernier grand A Tribe Called Quest, sur ce disque à contre-courant, sur cette apothéose qu'est Midnight Marauders.
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