Nul album rap ne s'est exposé plus facilement à la critique que ce disque multi-platiné du 2 Live Crew. Il était même du pain béni pour les bien-pensants et les contempteurs du hip-hop. Certains ont reproché au rap sa misogynie et ses messages irresponsables ? Voici un disque qui ne s'intéressait strictement qu'à une seule chose, ce que les femmes ont sous la ceinture, qui les affublait de tous les noms, qui transformait l'égo-trip habituel du rap en un étalage de performances sexuelles, en un concours de celui qui a la plus longue, littéralement, et qui partait à n'en plus finir dans des longs délires pornographique, devenant le premier album banni pour obscénité de l'histoire de la musique américaine, entrainant des vendeurs de disques en prison et le groupe dans une suite de procès sans fin.

2 LIVE CREW - As Nasty As They Wanna Be

Luke Records :: 1989 :: acheter cet album

D'autres, au début du hip-hop, ont critiqué ce pillage que le sampling représente, à leurs yeux ? En la matière, le 2 Live Crew n'y allait pas avec le dos de la cuillère, reprenant presque tels quels des extraits de Kraftwerk, de Van Halen, de Jimi Hendrix et des Beatles, poussant l'outrage jusqu'à déclamer ses raps grivois par dessus. Luther "Luke Skyywalker" Campbell et les siens ne s'interdisaient absolument rien, et si les paroles n'allaient que dans une direction, vers quelque chose de chaud et humide, la musique, à l'inverse, s'aventurait partout, du funk et du rock à l'electro, à la house, au ragga et au blues, ou à n'importe quoi d'autre.

Tout cela était gratuit, facile, régressif, crétin, puéril et immature. Et pourtant, c'était jouissif. Et naturellement, cela a enthousiasmé des milliers de jeunes garçons en rut, d'autant plus motivés que le disque était censuré et qu'il avait le goût délicieux de l'interdit. Et aujourd'hui encore, quand on écoute l'extatique "Me So Horny" et ces près de 80 minutes qui n'en sont que la déclinaison, on continue à éprouver un plaisir coupable. On pouvait ne pas aimer 2 Live Crew, ou plus sûrement, refuser de les aimer. On pouvait se la jouer Tartuffe et rejeter tout cela sur des prétextes moraux ou esthétiques. Reste que dix ou vingt ans après, c'est ce rap là qui a gagné. Ce qui à l'époque, n'était que la principale émanation de la Miami bass, un sous-genre rap provincial et mineur, a finalement triomphé quand s'est imposé le hip-hop du Sud américain, ce Dirty South exubérant, dansant, festif, drôle, métissé, libidineux, et nettement plus réceptif aux impératifs d'efficacité qu'à une orthodoxie encombrante et à une respectabilité inutile.