Les Isley Brothers ont été de toutes les phases de la musique populaire en Amérique, ils sont passés du gospel au doo-wop et au rhythm’n’blues, puis à la soul soyeuse de la Motown, ils ont été des passeurs de hits vers l’Angleterre (c’est après leur version du Twist and Shout" des Top Notes que les Beatles l'ont repris à leur tour), ils ont lancé la carrière d’un certain Jimi Hendrix. Et s’ils s’étaient arrêtés là, le contrat aurait été rempli, ils auraient déjà accompli leur mission.

THE ISLEY BROTHERS - 3+3

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Mais non, les frères Isley ont persévéré. Ils ont continué à accompagner les tendances musicales de leur époque. Et dans les années 70, ils étaient toujours là, plus que jamais, adaptant leur musique à celle du temps en y incorporant du funk, du soft rock, des reprises de singers-songwriters à la Neil Young ou à la James Taylor, et même, plus tard, des accents disco. Qui plus est, c’est au cours de cette période qu’ils ont livré ce qui est sans doute leur album le plus accompli 3+3.

3+3, parce que le groupe s’étoffait. Le trio formé par Ronald, Rudolph et O’Kelly officialisait en effet l’intégration d'autres membres de la fratrie Isley, Ernie et Marvin, et d’un beau-frère, Chris Jasper. Du coup, leur son s’enrichissait, grâce à un Ernie Isley au style de guitare très hendrixien, et grâce aux claviers d'un Chris Jasper entouré des mêmes ingés son que Stevie Wonder, lequel enregistrait au même moment, et dans les mêmes studios, son fondamental Innervisions.

Et de fait, 3+3 se présentait comme la synthèse réussie de toutes les musiques de ce début des décennie 70, noires et blanches confondues. Folk-bucolique, soul psychédélique, pulsations funk, hard rock virtuose se mêlaient et se confondaient, sans que les Isley Brothers ne renient, par leurs feulements et leurs harmonies vocales, des racines qui plongeaient loin dans la soul des années 60 et dans le doo-wop des années 50, avec par exemple un somptueux "You Walk Your Way".

L'illustration parfaite de cette synthèse entre les époques, c'était cet épique "That Lady, Pts. 1 & 2" qui n’était autre que la réactualisation d’un de leurs vieux hits, "Who's That Lady?", à grands coups de solo d’orgue et de guitare fuzz, dans un esprit latin rock inspiré par Santana. Sur 3+3, les Isley Brothers démontraient également, une nouvelle fois, qu’ils maitrisaient plus que tout autre l’exercice de la reprise. Avec eux, les jolies chansons middle-of-the-road de James Taylor devenaient plus sexy et classieuses que les originales ("Don't Let Me Be Lonely Tonight"), et le "Listen to the Music" des Doobie Brothers pulsait comme jamais.

Et puis, il y avait surtout ce "Summer Breeze" suave et torride à souhait, version transcendée du tube folk rock un brin fadasse de Seals & Croft, la pièce de choix de ce disque qui n’est pas seulement le sommet de la très longue carrière des Isley Brothers (aux dernières nouvelles, ils existeraient toujours, malgré quelques pertes essuyées en route), mais aussi un classique funk soul, et l'un des plus convaincants crossovers entre rock blanc et black music que l’époque ait offerts.