J'ignore bien d'où pouvait me venir une telle idée. De tel ou tel article d'une presse plus ou moins spécialisée, peut-être. De la conviction qu'un groupe n'est jamais génial éternellement. Ou de titres des Wings plutôt douteux, écoutés d'une oreille distraite. Car des années durant, j'ai bien cru que les carrières solo des membres des Beatles ne valaient pas grand-chose, notamment celle, pourtant prolifique et commercialement juteuse, de Paul McCartney.

PAUL & LINDA MCCARTNEY - Ram

Heureusement, comme souvent, le tribunal du temps à fait son œuvre. Et depuis l'époque où des mandarins de la critique rock comme Jon Landau et Robert Christgau se sont acharnés sur Ram, un disque cosigné trompeusement pas la femme du chanteur (ses apports se limitent à quelques chœurs), les avis ont évolué, les opinions se sont retournées. Et aujourd'hui, cet album mal aimé fait figure de chef d'œuvre de l'après Beatles, il est revalorisé comme l'égal des meilleurs disques des Fab Four, et les nouvelles générations ne se lassent pas de le découvrir ou de le redécouvrir, de donner raison au grand public qui, à l'époque, l'avait acheté en masse.

Car depuis les années 70, les valeurs et les arguments se sont renversés. On pouvait autrefois considérer le chanteur comme un mauvais joueur et critiquer ses allusions fielleuses aux autres Beatles, ces scarabées en plein ébat qui figuraient ironiquement au dos de la pochette, ainsi que ces quelques piques lancées ici ou là, dès l'introductif "Too Many People". Mais aujourd'hui, ces affaires personnelles sont de l'histoire ancienne, et elles ne comptent plus.

McCartney n'ayant pas la classe rock 'n' roll de Lennon, on trouvait régressives et gnangnan ces petites ritournelles pastorales faites maison, préparées par le couple dans sa ferme écossaise, et qui célébraient les vertus de plaisirs simples : vie à la campagne ("Heart of the Country"), virée en voiture ("Back Seat of my Car"), amour avec un grand A ("Long Haired Lady") ou amour coquin ("Eat at Home"). Mais deux décennies plus tard, avec l'avènement d'un indie rock introverti et sentimentaliste, tout cela a semblé finalement extraordinairement précurseur.

On pouvait se plaindre du côté fourre-tout du disque. Mais on loue aujourd'hui ses audaces et ses allures de coffre au trésor, ses trouvailles et sa foule de petits détails. On aime sa capacité à passer de titres bluesy rétro ("Three Legs") ou rock 'n' roll fifties ("Smile Away", "Eat at Home"), à d'autres où le chanteur s'égosille comme s'il était Robert Plant, à des fantaisies entrainantes ("Monkberry Moon Delight"), aux jolies mélodies et aux harmonies vocales de "Ram On", de "Dear Boy", de cet "Uncle Albert/Admiral Halsey" divisé en deux parties, l'une mélancolique, l'autre enjouée, et au sublime finale tout en violons et cuivres de "Back Seat of my Car".

On se satisfait de ce disque kaléidoscope où se trouve finalement beaucoup de ce qui a déjà séduit chez les Beatles. On y redécouvre toutes leurs facettes, et tout d'abord cette musique simple mais expérimentale, arty mais populaire. On est convaincu par ce disque qui, par ces mots adressées à Lennon, répondait par avance aux critiques qui allaient trop vite l'étriller :

Too many people preaching practices
Don't let 'em tell you what you wanna be

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