C'était sur je-ne-sais plus quel blog ou webzine français, un billet amusant qui listait les pré-requis de la crédibilité rock, les conditions que tout amateur se devait de remplir pour être respecté par ses pairs. L'un des éléments clés de la liste, c'était l'impératif de la transgression. Pour impressionner ses amis, tout autant que pour démontrer son ouverture d'esprit, il fallait savoir avouer un plaisir coupable, déclarer aimer tel ou tel artiste douteux, après, bien sûr, avoir étalé des goûts plus légitimes et démontré que l'on était avant tout un connaisseur.

LYNYRD SKYNYRD - Pronounced Leh-Nerd Skin-Nerd

Eh bien, pour moi, cette référence transgressive, c'est Lynyrd Skynyrd, et plus particulièrement Pronounced Leh-Nerd Skin-Nerd. D'accord, ce n'est pas un disque honteux pour tout le monde. Même si Second Helping, son successeur, lui est souvent préféré, le premier album du fameux groupe sudiste figure en bonne place dans le panthéon classic rock. Mais quand on vient d'une tradition plus new wave ou indé, bref, plus récente, aimer ces bouseux ne coule pas de source.

Jugez plutôt, et rien qu'avec la pochette, cette bande de rednecks à pattes d'éph' et aux cheveux longs posant dans la rue triste d'un patelin de Géorgie, façon caïds et outres à bière d'une bourgade de campagne, avec en plus, top du top, cet éclair en arrière-plan. Ecoutez donc ce hard rock terrien, sentant l'alcool fort, et nourri par les musiques de l'Amérique profonde. Ajoutez à cela le régionalisme sudiste de ces Floridiens d'origine, qui n'hésitaient pas à arborer le drapeau confédéré en concert, et se trainaient un public qui flirtait allègrement avec le racisme. Et vous sembliez rapidement vous retrouver avec des gens peu fréquentables.

Mais sur cet album, le groupe s'essaie à une diversité de styles d'autant plus impressionnante qu'il excelle dans tous : country ("Mississipi Kid"), boogie, riff stoniens ("Gimme Three Steps") et blues emprunté aux voisins noirs ("Things Goin' On"). A bien écouter Pronounced Leh-Nerd Skin-Nerd, on note aussi que Ronnie Van Zant, ce péquenaud, a été une redoutable songwriter. Enfin, en plus de titres bourrins, le sextet sait concocter de magnifiques morceaux longs, posés et contemplatifs, comme ce "Tuesday's Gone" à vous arracher des larmes, avec même un mellotron dedans, en plus du piano et des guitares. Comme aussi ce splendide "Simple Man".

Cet album se termine par un tour de force, ce "Free Bird" archi-classique long de neuf minutes, dédiée à Duane Allman (fondateur alors récemment décédé des Allman Brothers, l'autre grand groupe du Sud), et construit en deux parties, l'une mélancolique et chantée, et l'autre instrumentale, faite des mémorables attaques simultanées de trois guitares ; c'est un de ces titres à la "(I Can't Get No) Satisfaction" ou, comparaison plus habituelle, "Stairway to Heaven", tellement entendu et sur-entendu qu'on ne sait plus s'il est génial ou insupportable, à moins de l'écouter clore de façon idéale ce disque, le meilleur et l'aboutissement même du rock sudiste.

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