Le temps a presque donné raison à tous ces gens obtus qui, dix ans plus tôt, accusaient les rappeurs indé, en grande partie des Blancs, d'être des rockeurs déguisés. Aujourd'hui, nombre de ces artistes ont viré vers les mélodies et les guitares, des escapades hors-genre de rappeurs post-Project Blowed comme 2Mex et Ceschi, aux Power Struggle ou Roma di Luna nés des cendres d'Oddjobs, sans oublier, bien sûr, presque toute l'écurie Anticon, Why? / Yoni Wolf en tête.

EYEDEA & ABILITIES - By The Throat

On peut désormais ajouter Eyedea & Abilities à la liste. Oui, Eyedea & Abilities, les protégés de Slug, les adeptes d'un boom bap aguerri aux joutes verbales des battles et aux exploits des turntablists, les tenants d'un rap classique, à peine abâtardi par la posture introspective propre à Atmosphere.

Il faut dire qu'il s'est passé un certain temps depuis la sortie de leur précédent album, E&A, en 2004. Tiens, d'ailleurs, détail intéressant, c'est chez les punks hardcore d'Epitaph qu'est alors sorti ce disque. Surtout, entretemps, on a vu Eyedea s'essayer déjà au rock au sein de Carbon Carousel. Enfin - osons un blague doûteuse - quand on s'appelle Micheal Larsen (le vrai nom du rappeur), n'est-on pas prédestiné à goûter un jour des guitares bruyantes et distordues ?

Car des guitares bruyantes et distordues qui vous prennent à la gorge, il y en a sur By The Throat. Elles sont jouées par un Jeremy Ylvisaker échappé lui aussi de Carbon Carousel, et mêlées aux beats et scratches d'un DJ Abilities relégué au second plan, tandis qu'Eyedea opère à lui tout seul le grand écart entre hip-hop et rock, quand il alterne raps et chants.

Seul problème : même avec sa concision exemplaire et toute punk (des titres tournant autour de trois minutes, une durée totale d'une demi-heure), By The Throat ne fait pas mieux que les deux albums précédents des deux compères. Comme eux, il est franchement en demi-teinte, voire pire.

Ce n'est pas tant les raps qui sont en cause. Certes, on peut toujours tourner en dérision le tour emo de paroles, se moquer des bons sentiments de "Hay Fever", où l'interprète pleure un cher disparu, de "Time Flies When You Have A Gun", où il pointe les dangers du port d'arme, et de "By The Throat", où, fi de la jalousie, il dit bonne chance à son ex.

On peut ne pas aimer ce rap introspectif où Eyedea se déclare l'esclave impuissant de son corps ("Forgive Me For My Synapses", "This Story"), ni ce nécessaire morceau contre les fake, rappeurs ou rockeurs, qui manque cruellement d'humour ("Factory"). Mais ce serait de l'aveuglement, qui ferait passer à côté de l'essentiel : à savoir qu'Eyedea, quel que soit le premier degré de ses textes, s'exprime constamment bien.

Ce qui gêne, c'est autre chose. Ce sont d'horribles refrains chantés. C'est la musique. On pouvait légitimement croire que des guitares abrasives et des percussions franches colleraient à la nature d'écorché vif d'Eyedea. Mais non, tout ce bruit est vain et sans effet, hormis sur quelques réussites comme ce "Sky Diver" tout en batterie et ce "Burn Fetish" sur les relations d'amour-haine entre l'artiste et son public. Ailleurs, le son est envahissant, il est contre-productif.

Car l'écrin musical qui lui convenait le plus, Eyedea en a déjà profité, il y a longtemps, sur les meilleurs moments de son solo The Many Faces Of Oliver Hart. Il n'était donc pas nécessaire d'évoluer à ce point. Toute prise de risque est louable, mais malheureusement, elle ne paie pas toujours.

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