Le temps aurait presque donné raison à tous ces gens conservateurs et obtus qui, dix ans plus tôt, accusaient les rappeurs indé, en grande partie des Blancs, d'être des rockeurs déguisés. Car aujourd'hui, les exemples sont nombreux, d'artistes issus de ce mouvement, et ayant finalement viré vers les mélodies et les guitares, des escapades hors-genre de rappeurs post-Project Blowed comme 2Mex et Ceschi Ramos, aux Power Struggle ou Roma di Luna nés des cendres d'Oddjobs, sans oublier, bien sûr, quasiment toute l'écurie Anticon, Why? / Yoni Wolf en tête.
Rhymesayers :: 2009 :: acheter ce disque
Et à présent, on peut ajouter Eyedea & Abilities à la liste. Oui, Eyedea & Abilities, les anciens protégés de Slug, les adeptes d'un rap boom bap aguerri aux joutes verbales des battles et aux exploits des turntablists, les tenants d'un hip-hop classique, à peine abâtardi par la posture introspective inaugurée par Atmosphere.
Il faut dire qu'il s'est passé un certain temps depuis la sortie de leur précédent album, E&A, en 2004. Tiens, d'ailleurs, détail intéressant, c'est chez les punks hardcore d'Epitath qu'était sorti ce disque. Surtout, entretemps, on avait vu Eyedea s'essayer déjà au rock au sein de Carbon Carousel. Enfin - osons un blague doûteuse - quand on s'appelle Micheal Larsen (le vrai nom du rappeur), n'est-on pas prédestiné à goûter un jour des guitares bruyantes et distordues ?
Car des guitares bruyantes et distordues qui vous prennent à la gorge, il y en a sur By the Throat, jouées par un Jeremy Ylvisaker échappé lui aussi de Carbon Carousel, et mêlées aux beats et scratches d'un DJ Abilities relégué au second plan, tandis qu'Eyedea fait à lui tout seul le grand écart entre hip-hop et rock en alternant rap et chant. Seul problème : même avec sa concision exemplaire et toute punk (des titres tournant autour de 3 minutes, une durée totale d'une demi-heure), By the Throat ne fait pas mieux que les deux albums précédents des deux compères. Comme eux, il est franchement en demi-teinte, voire pire.
Ce n'est pas tellement les raps qui sont en cause. Certes, on peut toujours tourner en dérision le tour emo de paroles, se moquer des bons sentiments de titres comme "Hay Fever", où l'interprète pleure un cher disparu, "Time Flies When You Have a Gun" où il pointe les dangers du port d'arme, ou "By the Throat", où, fi de la jalousie, il souhaite bonne chance à son ex. On peut ne pas aimer ce rap introspectif où Eyedea se déclare l'esclave impuissant de son corps ("Forgive Me for my Synapses", "This Story"), ni ce nécessaire morceau contre les fake, rappeurs ou rockeurs, qui manque cruellement d'humour ("Factory"). Mais ce serait de l'aveuglement, qui ferait passer à côté de l'essentiel : à savoir qu'Eyedea, quel que soit le tour premier degré de ses textes, s'exprime constamment bien.
Ce qui gêne, c'est autre chose. Ce sont d'horribles refrains chantés, et, plus encore, la musique. On pourrait légitimement croire que des guitares abrasives et des percussions franches colleraient au mieux à la posture d'écorché vif d'Eyedea. Mais non, tout ce bruit est vain et sans effet, hormis sur quelques réussites comme ce "Sky Diver" tout en percussions et ce "Burn Fetish" sur les relations d'amour-haine entre l'artiste et son public. Ailleurs, le son est envahissant, et à force, contre-productif. Car l'accompagnement musical qui lui convenait le plus, Eyedea en a déjà bénéficé, il y a longtemps, sur les meilleurs moments de son solo The Many Faces of Oliver Hart. Il n'était donc pas nécessaire d'évoluer à ce point : si toute prise de risque est louable, elle ne paie malheureusement pas toujours.
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