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BLACK BOX RECORDER - England Made Me

Albums folk rock metal

BLACK BOX RECORDER - England Made Me

Luke Haines n'a jamais vraiment été un garçon fréquentable. D'accord, en 1993, il a annoncé la clinquante vague brit pop avec son album New Wave. Mais il en a incarné le côté obscur, la face cynique, avec ses commentaires sociaux empreints d'ironie. Averti des petitesses de notre monde, il s'est posé en héritier de Ray Davies. Et plus tard, avec son projet d'après les Auteurs, Baader Meinhof, il a avoué une étrange fascination pour les terroristes de la Bande à Baader.

BLACK BOX RECORDER - England Made Me

Black Box Recorder est la troisième incarnation de Luke Haines, sa troisième aventure après les deux susnommées. Et l'on y reconnait bien le personnage, avec cette pop qui joue admirablement des contrastes entre la douceur cajoleuse des mélodies et des paroles affreusement noires. D'entrée de jeu, celui qui n'a jamais su capitaliser sur le succès du genre qu'il a pourtant contribué à définir, marque le coup avec son premier single, un "Child Psychology" interdit de radio à cause du refrain et de son lancinant leitmotiv :

Life is unfair,
Kill yourself or get over it

La vie n'est pas juste,
Suicide-toi ou fais-toi une raison

Les mélodies sont jolies, les guitares tout en délicatesse, certains titres oniriques ("It's Only The End Of The World") avec leurs poussées de synthé ("Ideal Home"). Des boites à rythme font parfois, mollement, sautiller le tout. Pourtant, tout est sombre sur England Made Me, premier album conçu par Haines avec Sarah Nixey et John Moore, ancien Jesus & Mary Chain. Tentations de suicide ("Seasons In The Sun") et de réclusion ("Hated Sunday"), souffrances de l'enfance ("Child Psychology"), portrait d'une Angleterre cruelle et dépressive ("Swinging", "England Made Me"), "no future" ("Girl Singing In The Wreckage") : voilà de quoi il est fait.

Cela sent le retrait du monde, le repli sur soi, la régression, le désenchantement, cette gueule de bois d'après les grandes utopies qui a été caractéristique de la pop indé nostalgique, qui est apparue vers le milieu des années 80. On y trouve aussi une perversité lointainement descendue du Velvet Underground. Et n'oublions pas le nom même du groupe, Black Box Recorder, la boîte noire, comme s'il cherchait à partager les dernières pensées d'un équipage en perdition.

Le coup de génie de Luke Haines, ce qui rend Black Box Recorder plus captivant encore que les Auteurs, c'est l'idée de faire chanter Sarah Nixey à sa place. Plus belle, moins limitée, angélique, la voix de la chanteuse, même quand elle opte pour du spoken word ("Child Psychology", le quasi trip hop "Up Town Top Ranking"), renforce ce saisissant contraste entre une forme innocente et un contenu cynique. Non, pas cynique, juste résigné aux désordres du monde.

Que ce soit avec ce très bon England Made Me ou plus tard, et malgré le succès relatif de l'album suivant et la bienveillance de la critique, l'habile jeu des contraires proposé par Black Box Recorder ne connaîtra pas nécessairement la reconnaissance. Mais bon. De toutes façons, nos trois compères le savaient, ils nous ont prévenus dès le début :

Life is unfair,
Kill yourself or get over it

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