Bien sûr, il y a quelques constantes sur le deuxième album de Tribe. La voix à la fois aigre et chaude de Q-Tip, si caractéristique, si emblématique. Des passages ludiques, comme ce "Skypager" dédié au gadget du même nom. Un hip-hop à tendance afro-centriste qui, dans l'esprit des Native Tongues, est autre chose que hardcore, autre chose que gangsta. Alternatif, a-t-on dit. Mais à part ça, The Low End Theory est quasiment le contraire exact de l'album précédent, People's Instinctive Travels & the Paths of Rythm.

A TRIBE CALLED QUEST - The Low End Theory

Là où le premier a émoustillé des gens étrangers au rap (ah, ce sample de Lou Reed…), le second fonde le boom bap, il est fait d'un jazz rap parfaitement homogène. Tandis que People's…, malgré des titres d'anthologie, s'est montré inégal, Theory… est bâti d'un bloc. L'un est joyeux et festif, l'autre propre et austère. Alors que le premier part dans tous les sens, le second ne puise qu'à une seule source : le jazz, le jazz, rien que le jazz, par samples interposés, et par la présence du contrebassiste Ron Carter sur "Verses From The Abstract".

Deux styles s'opposent ici, celui, audacieux, de Q-Tip, et celui, plus terre-à-terre, de Phife Dawg. Mais dans les deux cas, c'est du rap dans sa plus simple expression, accompagné de sons on ne peut plus sobres. Les boucles sont ramenées à l'essentiel. Le rythme prévale sur la mélodie. La basse et la batterie sont reines, et les autres instruments, trompette, orgue ou autres, ne piochent que dans le registre du jazz.

Cette formule est capable de grandes choses. Le début le prouve, parfait, avec des "Excursions" et "Buggin' Out" d'anthologie. Et plus tard, il y a le chaleureux "Vibes And Stuff", la trompette enjouée en ouverture de "Check The Rhime" et le dévastateur "Scenario" avec les Leaders Of The New School. Quant aux paroles, elles sont malines, et dévoilent un rap, avant même que le terme ne soit consacré, socialement conscient, qui critique l'industrie du disque ("Rap Promoter", et "Show Business", avec Brand Nubian) et qui défend des femmes ("Buttet", "The Infamous Date Rape").

Plus tard, pour ces mêmes raisons, omniprésence du jazz, textes adultes, austérité des compositions, The Low End Theory sera une référence pour les gardiens du temple imbus de hip-hop mature et intelligent, cette élite adepte d'un boom bap triste et fossilisé, et avide de démontrer que le rap peut être un art valide. Mais l'album, lui, n'est pour rien dans cette dérive conservatrice. Même s'il est légitime de lui préférer Midnight Marauders, un troisième disque qui conjugue les points forts des deux précédents, même si quelquefois, sa sobriété confine à l'ennui, The Low End Theory reste cet intouchable manifeste d'un jazz rap total et abouti.

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