La redécouverte par les musiques populaires de leur propre passé s'est opéré en plusieurs étapes. Au tout début, dans les années 50 à 70, tout était à inventer chaque jour, et peu, hormis les critiques, les passionnés et les nostalgiques, s'attardaient sur le rétroviseur. Puis dans les années 80, vint le format CD et une première vague de rééditions. Le rock (au sens large) avançait à grands pas vers la cinquantaine et opérait déjà un premier bilan de son histoire. Il devint fréquent de voir publiées des listes des meilleurs albums de tous temps où, à chaque fois, les Beatles, les Beach Boys, Dylan se taillaient la part du lion, mélangés pour faire bonne mesure à quelques artistes plus récents. Puis il fallut se distinguer et se spécialiser. Les rééditions s’accélérèrent, Internet s’en mêla, aiguisant l’appétit des amateurs de musique, remettant dans le circuit des titres qui n’avaient quasiment jamais fait l’objet d’une réédition. Certains s’aperçurent enfin que si tel ou tel album avait connu le succès, c’était autant par chance ou par réseautage que pour sa qualité, et qu’à l’inverse des tas de perles dormaient dans les greniers. Tant et si bien que vint le temps d’une nouvelle ruée vers l’or, avec son corollaire de frénésie et de déceptions, une quête dédiée à la découverte de lost classics.

SILVER APPLES - Silver Apples / Contact

Réédités sur un seul CD en 1997, les deux premiers albums de Silver Apples sont régulièrement cités parmi ces chefs d'oeuvre oubliés de la pop music. Comme souvent, c’est l’admiration de groupes plus récents qui valut à ce duo new-yorkais de revenir à la surface à la fin des années 90, de se reformer, de ressortir ses vieux disques et d’en proposer de nouveaux. Les premiers de ces fans furent Suicide, suivis plus tardivement par Stereolab, Spacemen 3, Laika et quelques autres. Les similitudes sont en effet nombreuses entre leurs musiques respectives et celle du duo formé par le percussionniste Danny Taylor et Simeon Coxe III, chanteur fantasque qui manipulait un étrange synthétiseur conçu par lui-même et qui portait son prénom.

Près de 40 ans après leur sortie, c’est un étrange décalage que l'on remarque sur ces deux premiers albums des Silver Apples, celui entre un chant de hippy éthéré et cosmique, bien ancré dans le délire psychédélique de l’époque, et ce son certes un peu vieillot, fait tout entier de pulsations, d’oscillations et de rythmes complexes, mais qui annonce énormément la musique électronique triomphante des années 90. Dès le début, les deux compères avaient su utiliser leur étrange instrument. En jouant du minimalisme, de la répétition et d’infimes variations, avec une concision qui tranche avec les arpèges proposés par d’autres groupes de rock progressif, ils annonçaient un kraut rock alors en pleine gestation.

Souvent, la musique des Silver Apples ne dépasse pas le stade de simple curiosité, comme avec ces mélopées tribales à dresser les cheveux sur la tête ("Dust", "Dancing Gods") ou quand elle mâtine son futurisme synthétique d'un banjo ("Ruby", "Confusion"). Mais il y a de véritables réussites, quand le potentiel hypnotique des machines est exploité au mieux (l’excellent "Lovefingers"), quand des chants éthérés épousent des rythmes légers mais trépidants ("Program"), quand leur formule atteint des sommets de psychédélisme ("You and I") ou quand le format pop, dont ne s’éloignent finalement jamais trop les deux hommes, aboutit au meilleur ("I Have Known Love"). Alors certes, il n’aurait fallut que des titres de cet acabit pour qualifier ces deux albums en un de lost classic. Ce titre est accordé avec trop de légèreté de nos jours, ses critères d’attributions sont trop vagues. Mais ces deux premiers disques des Silver Apples ont été visionnaires, précurseurs, séminaux. Ils sont historiquement importants, ils sont à connaître et à avoir pour tout passionné de musique. Et cela est déjà énorme.

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