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DALEK - Batofar - 7 septembre 2005

Interviews

DALEK - Interview

La carrière de Dälek est tout sauf neuve. Cela fait bientôt 10 ans maintenant que le groupe nous envoie ses impressionnantes décharges rap. Aussi, en cette année 2007 chargée avec la sortie du remarquable Abandoned Language et d’une compilation de raretés, était-il grand temps de vous dévoiler enfin cette interview réalisée en mars dernier avec l'imposant et massif rappeur du duo de Newark.

DALEK - Batofar - 7 septembre 2005

Apparemment, tu commences une nouvelle tournée en France avec de nombreuses dates. C’est pareil dans tous les pays d’Europe ou as-tu une relation particulière avec la France ?

Nous avons un bon public ici. On essaie donc de visiter autant de régions que possible. Cette fois, nous tournons en France et en Belgique, mais plus tard dans l'année nous avons prévu de faire d’autres pays comme l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, la Scandinavie et le Royaume-Uni. Avant nous faisions toute l’Europe d’un coup, mais maintenant nous préférons nous concentrer sur certaines régions.

Vous avez le même accueil dans chaque pays ? L'accueil est pareil en Europe et aux Etats-Unis ? C’est quelque chose que vous pourriez évaluer ?

Je pense vraiment qu’on a plus de succès en Europe qu’aux Etats-Unis. Mais c’est assez général. Ici, les gens apprécient davantage les groupes underground qu’aux US. Ils aiment écouter de nouvelles choses. Ils cherchent de nouveaux sons. Nous avons eu la chance d’avoir beaucoup de gens à tous nos concerts, en Allemagne et en Scandinavie, autant qu’en France et en Belgique.

Jusqu’à ce jour, je n’ai vu qu’un concert de Dälek, et deux choses m’ont impressionné. D’abord, j’ai été marqué par votre énergie sur scène. C’est naturel, vous vous donnez autant chaque soir ? Ce n’est pas le cas de tous les artistes.

Peu importe qui vient et qui ne vient pas. Nous donnons toujours tout ce que nous avons. Je ne dirais pas que chaque concert est aussi intense. Tout le monde a ses jours sans. Mais si des gens payent de leur propre poche pour venir te voir, tu leur dois le respect. Tu dois leur donner tout ce que tu as. Peu importe s’il y a dix personnes ou un millier. Nous essayons toujours de livrer le même concert chaque nuit.

J’ai également été impressionné par l’énergie d’Oktopus. Ce n’est pas commun d’avoir un beatmaker qui bouge autant dans un concert de hip-hop.

Oui, je suis allé à des tas de concerts hip-hop et certains n’étaient vraiment pas bons. J’en ai adoré certains, et pour d’autres je me suis dit que j’aurais mieux fait de rester à la maison et d’écouter le disque. Nous essayons de faire quelque chose qui aille au-delà de l’album. Si tu as la chance de voir un groupe de près, autant que ce soit autre chose, et que cette autre chose te touche. Et puis nous adorons notre musique. Nous adorons nous produire sur scène. Cette énergie, elle vient du fait que nous jouons une musique que nous aimons vraiment.

J’ai aussi été très impressionné par le niveau sonore. J’étais sourd en quittant le concert.

Tu nous imagines (rires) ! Oui, cette musique est forte. Ca va avec le fait de la jouer live. Ca doit être écouté à fond, ça doit avoir de l’impact. Sinon, à quoi bon ? Si c’est tout calme, autant l’écouter au casque (rires) ! La musique, c'est quelque chose qui doit t'agresser.

Et j’étais très surpris au début du concert de voir tant d’habitués avec des boules dans les oreilles. Ensuite, j’ai réalisé…

Eh oui, c’est un truc qui fait du bruit !

Je devine que tu es là pour faire la promo du dernier album. Je l’ai écouté avant de venir et j’ai noté une grande évolution depuis Absence. Je l’ai trouvé moins oppressant, moins sombre. Tu le vois comme ça ?

C’est une affaire de perception. C’est moins bruyant qu’Absence, mais je ne pense pas que ce soit moins sombre. Il y a toujours ce mur du son, c’est juste l’approche qui diffère. Nous avons utilisé une autre instrumentation, un autre son. Ca aurait été si simple de faire un Absence Part 2. En tant que musicien, je ne pouvais pas vouloir ça. Je ne veux pas choisir le chemin le plus simple. Je veux me dépasser. Je veux emmener plus loin notre public et notre musique. On pense souvent que bruyant, c’est la même chose que lourd. Mais je pense au contraire que cet album est plus sombre qu’Absence, tout spécialement quand il est joué live, même si ça peut paraître étrange. Quoi qu'il en soit je suis très satisfait de cet album.

Qu’en est-il de l’évolution des paroles ? Elles sont toujours sur les mêmes thèmes ?

Des gens me disent : "tu rappes toujours sur les mêmes sujets". Mais qu’est-ce qui a changé dans le monde entre Absence et maintenant ? Tout ce dont je parle est toujours d’actualité ! Réglez les grands problèmes du monde et j’arrêterai de rapper (rires) ! Je pense cependant que celui-ci est plus personnel. Absence était très direct, très "dans ta face". Celui-ci est encore direct, mais il traite d’autres problèmes. Certes, ça parle toujours de la société, des malaises sociaux, des barrières sociales. Mais ça traite aussi de pertes personnelles. J’ai voulu y faire revivre le hip-hop que j’ai connu quand j’étais gosse. Il est plus dense, et il laisse plus de champ à l’interprétation. Il ressemble davantage à nos premières sorties. Chaque disque traduit notre état d’esprit du moment. A mes yeux, cela n’en fait pas un meilleur album, ça montre seulement qui nous sommes aujourd’hui. C’est le rôle de chaque album. Et j’espère que ça continuera comme ça. Le prochain disque sera sans doute très différent de celui-ci.

Tu dois savoir qu’en France, beaucoup de gens ne comprennent pas tes paroles. C’est un problème pour toi ? J’imagine que ce doit être un peu frustrant.

Il est clair que j’accorde beaucoup d’importance aux paroles. Mais au-delà même des paroles, une chanson peut toujours t’apporter quelque chose. Les gens en perçoivent le sens, même s’ils ne comprennent pas les paroles. Et puis il faut savoir que nos paroles sont disponibles sur notre site web et sur nos pochettes. Les gens finissent par y venir quand ils aiment le son qui les accompagne. Au fur et à mesure des écoutes, tu finis par en comprendre quelques bribes. C’est ça le génie de la musique : tu peux l’aborder sous différents angles. Même si ce n’est pas ta langue natale, petit à petit, tu finis par la comprendre. Nous avons joué au Japon, en France et en Allemagne. Partout ! Tout ne dépend pas des paroles. La musique est quelque chose d’extrêmement primaire et naturel. Ca connecte les gens indépendamment de leur passé et de leur langue. Ca te fait bouger la tête, ça te fait ressentir des choses.

Tu as parlé du hip-hop de ton enfance. Quel est ton diagnostic sur celui d’aujourd’hui ?

La musique est en mouvement perpétuel. Mais elle en revient toujours à son passé. Je ne suis pas le genre d’artiste underground qui va cracher sur le mainstream. Ce serait une perte d’énergie. Et c’est très naïf. Etre underground, ce n’est pas un gage de qualité. Il y a des tas de trucs ignobles dans l’underground comme dans le mainstream. Une partie du hip-hop mainstream tient bien la route.

A qui penses-tu ?

Il y a des travaux de production très intéressants dans le mainstream, si tu te réfères à des producteurs comme Timbaland ou comme Diplo. Ce qu’ils font est génial en termes de musique. C’est beaucoup plus intéressant que tout ce qui se passe dans d’autres genres. C’est plus intéressant que ce qui se passe dans le rock de nos jours.

En fait, ce qui manque au mainstream, ce sont les MC’s de qualité, même si je généralise un peu. L’album n’est plus très récent, mais Jay-Z a montré qu’il rappait bien sur son Black Album. Il reste possible d’avoir du mainstream qui soit bon tant en matière de paroles que de musique, mais c’est rare. J’espère que l’art du emceeing fera son grand retour. Pour moi, quelqu’un comme Immortal Technique est brillant. Ce qu’il fait est incroyable. Le rap continuera à évoluer et avec un peu de chance, les paroles retrouveront de l’importance. Ce sera autre chose que de simple party rhymes. Je ne dis pas que tout doit être social ou politique, mais où est le Bob Dylan du hip-hop ? Où est son Leonard Cohen ? Le hip-hop est encore jeune, il n’a que 30 ans. On peut faire encore tant de choses avec lui. Je suis sûr qu’il va grandir encore, qu’il évoluera.

Tu as aussi des influences rock. Comment quelqu’un comme toi qui as grandi avec le hip-hop s’est mis à écouter du Faust ou du My Bloody Valentine ? La plupart du temps, tu grandis avec un genre ou l’autre.

Ce n’est pas toujours vrai. Le hip-hop, ça vient de la culture DJ. Et être un DJ, ça consiste à écouter de tout. Quand le hip-hop a été créé dans les années 70 et 80, il n’y avait pas de hip-hop. Il fallait l’inventer. Tous les grands producteurs écoutaient de tout. Afrika Bambaataa écoutait du Kraftwerk. Et écoute donc les premier album de Boogie Down Productions. Il y a des samples de rock.

Certes, mais la plupart écoutaient plutôt des musiques black comme la soul ou le jazz.

Boogie Down Productions a samplé "Smoke on the Water". Manifestement, ça ne vient pas d’un groupe de Noirs. La culture DJ, ça consiste à écouter de tout et à assembler ce qui fait sens pour toi. C’est évident que la plupart des groupes hip-hop n’ont pas grandi avec le Velvet Underground, My Bloody Valentine ou Faust. Mais nous, nous sommes hip-hop dans le sens le plus pur du terme. Nos oreilles sont restées ouvertes. Ce qui nous a inspiré est large et varié. Le génie du hip-hop, ça a toujours été l’expérimentation. Ecoutes Public Enemy, A Tribe Called Quest, De La Soul, NWA, BDP, EPMD. Ils ont tous un son différent. Le hip-hop englobe tellement de sons. Ca n’est que récemment qu’il s’est homogénéisé.

D’ailleurs, je n’ai jamais pensé que ce que je faisais était le seul hip-hop possible au monde. Ce n’est que mon interprétation du genre, ce qui me convient. Mais dans le même temps, je peux très bien apprécier d’autres genres de hip-hop. Il n’y a aucune raison pour que chaque style de hip-hop n’ait pas sa place. Mon seul problème, c’est que tout l’argent va dans ce qui n’est qu’un genre de hip-hop. Et tout le reste est considéré comme underground. De là vient l’injustice. Si tout le monde était représenté équitablement, y compris le rap mainstream, chacun s’en porterait mieux.

Tu penses vraiment que la seule raison de tout cela, ce sont les choix de l’industrie du disque ? N’est-ce pas tout simplement parce que le hip-hop mainstream est plus accessible que ce que tu fais ?

Tout est une question de cycles. A un moment précis, c’est un certain son qui reçoit tout l’argent nécessaire et qui est diffusé à longueur de temps. Forcément, cela finit par devenir le format prédominant dans le hip-hop. N’importe quel gosse qui cherche à être signé va vouloir sonner comme ça. Puis les choses changent. Le gosse finit par se lasser de ce son. Il veut quelque chose de neuf. Certaines personnes ne comprennent pas que le hip-hop ait envie de changer, de devenir quelque chose d’autre. Tu ne peux tout de même pas le mettre dans une boîte et dire : "OK, le hip-hop c’est rien que ça et pas autre chose". Le hip-hop n’a jamais supporté ce genre de contraintes. Plus tu essaies de faire ça, et plus ça change, plus tu provoques des réactions.

Nous allons devoir clore l’interview. Un message final à la France ?

Chaque fois que nous nous rendons en France, nous sommes bien accueillis. Je voudrais juste que les gens comprennent à quel point nous apprécions leur soutien, le fait qu’ils aiment ce qu’on leur propose, le fait qu’ils continuent à venir à nos concerts. Pour moi, c'est lourd de sens.

DALEK - Batofar - 7 septembre 2005

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