C’est toujours comme ça que ça se passe. Stigmatisez une catégorie de gens, et ils finissent par se faire une fierté de ce que vous leur reprochez. C'est un phénomène classique, qui devait fatalement arriver avec le rap de nerd, avec ce hip-hop de la classe moyenne blanche véhiculé par Internet plutôt que dans les rues. A l’origine, tous ces gens n’avaient pas le droit de faire du rap. Ils le dénaturaient, ils le dépréciaient, ils le détournaient de sa vocation, leur disait-on. Mais maintenant, les nerds se rebellent et ils revendiquent cet outrage. Vous nous reprochez d’être ainsi ? Vous nous en voulez de ne pas parler du ghetto et de nous planquer derrière nos ordinateurs ? Oui, nous sommes ainsi. Et nous en sommes parfaitement fiers. Nerdcore Rising.

MC FRONTALOT - Nerdcore Rising

Nerd, Damian Hess, alias MC Frontalot, l’est. Assurément. Nerdcore Rising, son premier album officiel, n’est pour le rappeur qu’un long coming out de blanc-bec intello bloqué sur son PC. Il force le trait, il insiste plus que de raison, se dépeignant en cadre moyen d’IBM sur la pochette. Pourtant, sur la forme, son album n’est pas si nerdy qu’on pourrait le croire. Exceptés des sons électroniques bizarres placés ici ou là, en particulier quand il est question d’informatique ("Pron Song"), les beats produits par Frontalot sont finalement assez normaux. Pas irritants, pas exceptionnels non plus. Tout juste et globalement passables. Qui plus est, les efforts de Frontalot sur son flow collent également à ce que tout rappeur qui se respecte se doit de faire.

Le côté nerd réside moins dans la musique que dans les paroles. Et à ce niveau-là, l’auditeur en a pour son argent. MC Frontalot déploie tous les poncifs de l’imagerie nerd : le sexe sur Internet, son penchant pour les filles gothiques, sa sympathie pour les homos, les conventions Star Wars, les artistes indépendants du quinzième sous-sol. Il supplie l’auditeur d’acheter son disque ("Charity Case") et recycle son hymne pour la BD en ligne Penny Arcade, dont il est devenu la mascotte et le compagnon de route. Il propose bien un titre politique anti-Bush, comme sur n’importe quel disque de rap normal ("Special Delivery"), mais pour le reste, le rappeur chauve à lunettes est à fond dans son personnage, il le surjoue. Tout cela se veut une parodie remplie d’autodérision, et pourtant, ça n’est pas toujours drôle. Pour tout dire, Nerdcore Rising est davantage un manifeste qu’un disque à écouter avec plaisir. Mais un manifeste qui fonctionne, à en croire les nombreux articles déjà parus sur le bonhomme.

Bien sûr, vu leur statut de nerds revendiqués, Frontalot et ses amis sont suspects d’être les auteurs des articles Wikipedia à leur sujet et des commentaires dithyrambiques sur la fiche Amazon consacrée à l’album. Mais d’autres textes, issus quant à eux de la presse papier, montrent que le rappeur est parvenu à fédérer une scène conséquente autour de lui, une scène qui comprend d’invraisemblables MC Chris, 2 Skinnee J’s et Optimus Rhyme, tout aussi bien que MC Hawking et Jesse Dangerously, cette vieille connaissance d’Halifax, tous deux présents sur le posse cut éponyme de l’album. MC Frontalot a donc tout fait pour marquer le coup. Si le mouvement nerdcore a un avenir, ce qui est tout de même très hypothétique, gageons que cet album fera date. Mais pour des raisons historiques plutôt que musicales.

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