J’ignore quel est le rôle de DJ Krush dans cette histoire. Je ne sais pas si le gourou nippon du hip-hop abstrait est devenu le plus visible d’une génération spontanée de beatmakers japonais au-dessus du lot, ou s’il a vraiment inspiré tous ces gens. S’il n’est qu’un pair plus connu que les autres, ou s’il est leur modèle et leur maître à tous. Quoi qu’il en soit, quelle que soit la genèse de ce hip-hop instrumental venu d’Extrême-Orient, on ne le remerciera jamais assez, et pour ses disques, et pour les artistes de son pays qu’il nous a faits connaître. On lui devait déjà d'avoir découvert Tha Blue Herb. On lui doit à présent de révéler KK, The Khaosist, producteur apparu sur l’album Kakusei en 1998 et fondateur l’année suivante de Lo-Vibes Productions.
Pure Fragments n’est qu’un petit EP de même pas une demi-heure, un amuse-gueule sorti entre les deux albums du beatmaker, Vibration-Lo et Eternal Tones. Mais c’est un concentré de talent, et une porte d’entrée dans le monde très spécial de KK. Il y a un point commun entre tous ses morceaux, une ligne motrice, un fil conducteur : leurs rengaines instrumentales inéluctables, ces quasi-boucles imperturbables aux sons industriels qui en constituent chaque fois l’ossature. Mais à partir de cette charpente, KK multiplie les variantes. Il donne dans le petit exercice de hip-hop jazzy et à la cool sur "Combo", et le saupoudre habilement de petits sons inquiétants. Il ajoute des bouts de voix étranges sur "Peak". Il fait beaucoup de bruit sur l’impressionnant "Xizm". Ou bien, tout au contraire, sur le "Uzu" qui apparaît juste après, il propose une instrumentation langoureuse, à peine troublée par des tentatives de percussion.
Mais le morceau emblématique de ce EP, sa perle, son concentré de génie, c’est le second, c’est ce remarquable "Echoes". Un titre tellement bon que KK a tenu à le recycler (tout comme le "Xizm" déjà cité) sur son album sorti en septembre dernier, cet Eternal Tones dont il sera bientôt question ici. Cette merveille commence par deux sons synthétiques prudents et discrets, pour se poursuivre pendant près de 5 minutes par l’un de ces motifs infernalement répétitifs dont le Japonais a le secret, un motif parsemé avec parcimonie de tout petits détails bien sentis, cloches lointaines ou bruits de vaisselle, chant ethnique féminin ou je ne sais quoi d’autre. Dit comme ça, ça sonne bizarre, inhabituel, et peut-être un peu louche. Et en effet, c’est bizarre, c'est inhabituel, et même franchement exotique. Mais c'est à découvrir absolument.