Le Japon est un pays en tout point fascinant. Là-bas, chaque genre musical a ses fans. Quelle que soit son époque, son style ou sa notoriété de par le monde, il a ses otakus. Des artistes quasiment inconnus à l’échelle mondiale vendent 5 fois plus au pays des mangas que sur le reste de la planète. Leurs disques sont réédités dans des versions luxueuses introuvables ailleurs, avec jolis packages et plages bonus. Des gens tout aussi motivés qu’invisibles s’activent à ce genre de travail avec un soin inimaginable. Il était donc dans l’ordre des choses que la grande scène emo rap, folk rap, indie rap ou je ne sais plus comment l’appeler, cette collection de rappeurs qui s’étend sur un grand territoire en forme de banane de la Californie à la Belgique, en s'attardant longuement au Canada, bénéficie à son tour de ces faveurs nippones.

COMPILATION -  Hue And Laugh And Cry: Sounds Of Humming Hip Hop

Les Japonais en charge de ce travail, ce sont les gens de Hue. Dans les mêmes temps qu’un nouvel album de Nomad, ils ont sorti une jolie compilation intitulée Hue and Laugh and Cry, Sounds of Humming Hip Hop où ne figure que du beau monde : Josh Martinez en guise de tête d'affiche, présent à deux reprises ; Noah23 ; les belges de Cavemen Speak, seuls, ou avec Bleubird, Marcus de Stacs of Stamina et Nuccini de Giardini di Miro ; un bon contingent issu de Sideroad Records, le label de Factor ; ses voisins Epic et soso de Clothes Horse Records ; pour la Californie les frères Ceschi et David Ramos, ainsi que les Escape Artists ; puis Losaka, du très bon label new-yorkais Fingerprint Records. Et donc, les Japonais se sont admirablement acquittés de leur tâche. Le livret est peu fourni, mais leur idée de pochettes alternatives et inversées est ingénieuse. Et surtout, nerf de la guerre, la sélection s'avère très bonne.

Hue a fait un vrai disque. Pas l’une de ces misérables compilations rap indé qu’on a connues par le passé, faites à la va-vite par des internautes, avec les bons artistes mais pas les bons morceaux. Ici, en plus, ce n’est pas du réchauffé. Place est faite aux inédits, sinon aux remixes. Et si les titres présents sont inégaux, la moyenne est globalement élevée. Le remix par Maki du "Waiting Under a Wax Paper Sky" de soso est moins bon que l’original, mais c’est tout le contraire pour celui du "Good Music & Indian Food" de Zucchini Drive par Nuccini. L’alliance entre le rap vindicatif de Siaz et la voix d’enfant fragile de Nomad est au mieux sur "Backbone". Le premier titre de l’ami Martinez, celui où les instruments de Pissed off Wild l’accompagnent, n’est pas mauvais non plus. "Proof of Love" n’est pas la plus belle chanson d’amour proposée par Ceschi, mais elle n’aurait pas dépareillé sur son excellent They Hate Francisco False. La décharge de haine filiale lancée par Ira Lee sur "Die" est assez impressionnante. Et le "Another Tomorrow" de la joyeuse bande de Metropolis Now fait une conclusion de premier choix.

Tous ces titres sont bons, mais deux autres méritent une mention spéciale. En premier lieu cette histoire d’une vie triste relatée par Nolto sur "Loman’s Lament" avec un formidable accompagnement folk rap mâtiné de synthé signé Factor, un titre qui confirme la très bonne surprise que fut l'an passé le Red All Over des deux compères. L’autre morceau mémorable est celui d’Eekwol sur ses motivations de rappeuse, un morceau qui bénéficie d’une production exceptionnelle de son frère Mils. Ce genre de titres, vous ne les croiserez pas sur la première compilation rap venue. Les Japonais sans visage qui gèrent Hue n’ont bâclé ni leur tri ni leur ouvrage. A l’avenir, nous devrons les suivre les yeux fermés, et les oreilles grandes ouvertes.

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