Mains d’œuvres c’est bien, mais c’est loin. Pousser jusqu’aux puces de Saint-Ouen pour assister au concert d’un artiste aussi obscur que P-Love, ce n’est pas d’une évidence folle. C’est donc devant une audience pour le moins clairsemée que la première partie du DJ new-yorkais entame la soirée. Au fond de la salle se tiennent une dizaine de personnes, raides comme des manches à balais, exceptées quelques représentantes de la gente féminine plus promptes aux mouvements de bassin que leurs petits camarades. A l’autre bout de cette pièce trop grande, deux individus debout et côte à côte derrière une table. Le premier sort des sons de sa machine, le second chante par-dessus, et les deux ont l’air effroyablement seuls. Malgré les canettes de bière qui s’empilent déjà sur la table, vides, les Suisses de Kid Chocolat ont toutes les difficultés du monde à chauffer la salle, la faute au manque de combattants plutôt qu’à leur musique électronique et entraînante, sans doute tout à fait efficace en d’autres circonstances.
Bientôt cependant, celle qu’ils présentent comme Mademoiselle Shalala rejoint les deux compères. La brunette ne semble pas particulièrement décontenancée par ce public dégarni. Elle chante à son tour, bouge un peu, et entame une chanson du compatriote Stephan Eicher. Le Stephan Eicher d’avant la carrière en France, il est bien précisé. Juste après, manque de chance, vient pour moi le moment d’abandonner ce show pour aller interviewer P-Love.
A mon retour, le public n’a pas spécialement grossi, mais ça bouge un peu plus. Deux garçons délurés dansent devant la scène, une bière à la main, et les trois Suisses semblent plus détendus qu’au début de leur représentation. Ils reprennent à nouveau Stephan Eicher. Celui d’avant, celui qui chantait en allemand, celui qui était bien, précisent-ils à nouveau. Celui en l’honneur duquel Kid Chocolat a sorti une compilation tribute (Ich möchte ein Eicher sein, avec Polar, entre autres artistes suisses et français). Puis ils enchaînent avec un autre groupe suisse allemand, un groupe que personne ne connaît dans la salle, sont-ils déçus de constater. Et tout cela finit dans une ambiance cordiale et bon enfant, à défaut d’être franchement chaude.
Quelques aménagements et quelques minutes plus tard, c’est au tour de P-Love d’entrer sur scène. Il se présente, puis il invite le public, toujours collé au mur du fond, à se rapprocher. Ce que, docile, il fait. Au point que notre DJ philippino-américano-canadien revienne sur ses propos et invite les mêmes à se comporter comme ils le souhaitent, le temps pour lui de passer quelques disques. Plus proche de la scène, les gens sont aussi plus nombreux. Au public de Kid Chocolat se sont ajoutés ceux qui sirotaient une bière un peu plus tôt dans le bar d’à côté, dans une douce ambiance d’happening, et quelques autres arrivés sur le tard. La salle est loin d'être comble, mais elle est mieux garnie. P-Love peut commencer dans de bonnes conditions. C’est donc parti pour quinze minutes en solitaire de pur turntablism. Le DJ ne propose rien de surprenant, mais une jolie démonstration de deejaying avec scratches et passages bien sentis de KRS One, Tribe et The Roots. En livrant une musique à l’antipode ou presque de celle très composée de son album, P-Love démontre qu’il est un musicien multicartes accompli.
Son autre facette, P-Love la réserve à la seconde partie du show. Accompagné par Matt Kelly d’Halifax, il interprète une série de titres issus de son album solo ainsi que de leurs EP commun passé et futur. Il commence par le premier morceau de All Up in Your Mind, s’excusant de ne pas avoir pu amener un brass band avec lui. Cette fois le registre est lent et posé, même si le ton est plus pêchu et les scratches plus marqués que sur l’album. L’apport de Matt Kelly n’est pas négligeable non plus, le bonhomme jouant alternativement de la guitare et des machines.
Mais à vouloir trop en faire, à se pencher perpétuellement sur ses boutons tout en manipulant, qui ses platines, qui sa guitare en bandoulière, P-Love et Matt Kelly se détachent parfois du public. Trop à ce qu’ils font, les deux bonshommes oublient les spectateurs, qui entre deux témoignages d’enthousiasme, se désintéressent du concert et discutent comme si de rien n’était. Heureusement, P-Love redresse parfois la tête, quand il évoque sa petite ville d’origine, New York, ou quand il précise qu'il vit à Montréal, accent québécois à l’appui. Heureusement aussi que les titres d’All Up in Your Mind tiennent la route. Ce concert, d'ailleurs, n’a fait que renforcer l'impression favorable laissée par cet album après plusieurs semaines d’écoute.
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